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Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/103

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LES HABITS NOIRS

Il revint le premier au logis de la Gloriette. Au bout d’une heure, l’espoir l’avait saisi au collet et il s’était dit :

— Elle est là peut-être, je vais la retrouver, m’agenouiller, et si ardemment prier qu’elle me pardonnera. Je lui donnerai ma vie, toute ma vie…

Et il s’élança courant sur le quai désert.

Médor, lui, courait depuis longtemps. Il n’avait ni plan ni but, il courait pour courir.

En courant, la colère lui venait souvent contre l’homme du château, mais il revoyait bientôt les grands yeux mouillés de Justin, et il s’apaisait jusqu’à avoir pitié.

Il fit une longue route. Et que de fois, imitant la pauvre folie de la Gloriette, ne crut-il pas voir, aux lueurs lointaines des réverbères une robe flotter dans la nuit — ou une forme couchée qu’il appelait et qui fuyait.

Il resta longtemps à rôder autour de la Morgue, cette funèbre salle d’attente qui effraye et fascine.

Dans cet immense Paris, combien de misères regardent la Morgue en tremblant, comme le grand roi Louis XIV avait froid dans la moelle des os, quand apparaissait à son horizon la blanche tour élevée au-dessus des caveaux de Saint-Denis !

Au jour, Médor rentra et trouva Justin tout seul, agenouillé devant le berceau.

La fatigue l’avait endormi là. Il tenait à la main le portrait, et sa tête reposait sur l’oreiller de Petite-Reine.

Médor s’assit et attendit l’heure où il est possible de voir un commissaire de police. Justin s’éveilla. Ils ne se parlèrent point. Avant de s’en aller Médor dit pourtant :

— Faudrait chercher un logement ; vous ne pouvez pas demeurer ici.

Les histoires qui datent de quinze jours sont vieilles dans les bureaux de police comme partout, mais ici un élément s’était rencontré qui avait rafraîchi sans cesse la mémoire du commissaire et de ses agents. Monsieur le duc de Chaves avait suivi l’affaire bien plus activement que Lily elle-même et son représentant Médor. Il avait donné de l’argent beaucoup, il en avait offert davantage, non seulement ici, mais aussi à l’administration centrale, et certes, si les recherches étaient restées infructueuses, il avait du moins fait tout le possible pour amener un meilleur résultat.

Après l’expédition manquée de la foire au pain d’épice, la Sûreté avait généralisé les battues, dans Paris et hors Paris. On avait excepté seulement de cette mesure les groupes de saltimbanques partis de la place du Trône avant l’enlèvement de la petite Justine. Nous n’avons pas oublié que le Théâtre Français et Hydraulique de madame Canada était précisément dans ce cas.

Monsieur le duc de Chaves était un homme influent et bien posé à tous égards, quoique ses mœurs un peu excentriques le tinssent éloigné des centres mondains. La préfecture avait mis les agents Rioux et Picard, qui connaissaient les débuts de l’affaire à la disposition du très habile inspecteur chargé de poursuivre les recherches. On avait réellement agi pour le mieux, mais la petite Justine était restée introuvable.

Et le renseignement donné par monsieur le duc à la Gloriette : ce départ