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Page:Féval - La Rue de Jérusalem, 1868.djvu/282

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lieue de Canton. J’aurais pu rapporter bien des bagatelles.

Mais ce qui est long, c’est la route royale de Pékin à Saint-Pétersbourg. Et pas d’auberges ! Je vivais à Moscou en vendant des cigarettes. Il y fait froid ; les fiacres n’ont pas de roues. Je sus m’y concilier comme partout la faveur des dames, mais j’avais l’idée de me ranger : ça m’a perdu.

L’Allemagne n’est pas un vilain pays pour la bière et les Tyroliennes. Mais concevez, Monsieur Badoît, le temps se passait et je me disais : Tu n’as plus qu’un moyen de te ranger, c’est la gloire militaire. Dans ton pays, le soldat a un bâton de maréchal au fond de son sac.

J’abrège, pas vrai, ça m’étouffe.

Je tombe donc en Alger où j’obtins le grade de fantassin. Quinze jours après, je passe, au choix, dans une compagnie de discipline. Oui, Monsieur Badoît, j’ai le droit de mettre sur mes cartes de visite : Ancien zéphyr.

Ça ne dura pas tout à fait trois semaines. Je n’avais jamais eu de sabre ; le mien me démangeait. Mon sous-lieutenant me regarda de travers un jour qu’il faisait chaud. Je lui dis qu’il avait le nez plein de lait. Il tira son épée, je le désarmai, et puis…

N’ayez pas peur, Monsieur Badoît. Toujours la douceur ! Je lâchai mon coupe-choux quand il n’eut plus rien dans la main, et je me bornai à le piétiner, j’entends mon sous-lieutenant… un petit peu trop, car le conseil de guerre me condamna à mort.

Va te faire fiche ! cette façon-là de me ranger ne m’allait pas. J’entrai Bédouin dans la troupe d’Abd-el-Kader, qui voulut me couper la tête, parce que j’avais bu la part de mon chameau.

C’est des vilaines bêtes, mais fidèles à l’amitié et qui gardent une poire pour la soif dans l’intérieur de leur tempérament… Est-ce que vous dormez, papa Badoît ? Hé ! là