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Page:Féval - La Tache Rouge, volume 1 - 1870.djvu/14

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LA TACHE ROUGE

celle de respirer et de vivre ; je pense depuis bien longtemps que si notre terre est trop petite pour contenir ces deux colosses, la Justice et la Liberté, il faudrait les mettre en champ clos une bonne fois, face à face, armées de toutes pièces.

L’une tuerait l’autre peut-être, ou bien elles s’accommoderaient sur le terrain, et le monde irait.

Une autre bizarrerie, et celle-là vous l’aurez sans doute remarquée, c’est que la misère produit souvent un trompe-l’œil qui conserve à la femme, bien au-delà des limites ordinaires, des apparences juvéniles.

Les années presque toujours, amènent le poids et l’ampleur, qui sont les signes les plus reconnaissables de l’âge.

Il n’en est pas ainsi pour ces pauvres frêles créatures, amoindries par le travail sédentaire où les grands muscles du corps humain ne jouent jamais, étiolées par la captivité, passées au laminoir de l’abstinence quotidienne : elles gardent très-souvent, à distance du moins, les formes chétives de la toute-jeunesse, j’allais presque dire de l’enfance.

D’un côté à l’autre de la rue, il m’est arrivé, dans certains quartiers, de prendre une femme de quarante ans pour une fillette mal venue.

Mais la revanche de la vérité est cruelle. À dix pas, la femme de trente ans est une vieille.