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Page:Féval - La Vampire.djvu/13

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LA VAMPIRE

côté de la rivière, une rangée de badauds qui regardaient de tous leurs yeux. Les cancans allaient et venaient, les commentaires se croisaient : on fabriquait là assez de bourdes pour désaltérer tout Paris, incessamment altéré de choses vraies qui n’ont pas le sens commun.

Je dis choses vraies, parce que, soyez bien persuadés de cela, sous toute rumeur populaire, si absurde qu’elle puisse paraître, un fait réel se cache toujours.

L’opinion la plus accréditée, sinon la plus vraisemblable, se résumait en un mot qui sollicitait énergiquement les imaginations et valait à lui seul deux ou trois des plus ténébreux livres de Mme Anne Radcliffe. Ce mot était plus sombre que le titre fameux le Confessionnal des pénitents noirs. Ce mot était plus mystérieux que les Mystères du château des Pyrénées, que les Mystères d’Udolphe et que les Mystères de la caverne des Apennins ; il sonnait le glas, il flairait la tombe.

Ce mot, sincèrement appétissant pour les esprits inquiets, curieux, avides, pour les femmes, pour les jeunes gens, pour tous les curieux de terreur et d’horreur, c’était la Vampire.

Notre éducation au sujet de ces funèbres pages du merveilleux en deuil a peu marché depuis lors. On a bien écrit quelques-uns de ces livres qui dissertent sans expliquer, qui compilent sans condenser et qui relient en de gros volumes le pâle ennui de leurs pages didactiques, mais il semblerait que les savants eux-mêmes, ces braves de la pensée, abordent avec un esprit troublé les redoutables questions de démonologie. Parmi eux, les croyants ont un peu physionomie de maniaques, et les incrédules restent mouillés de cette sueur froide, le doute, qui communique à coup sûr l’ennui contagieux.

Je cherche, et je ne trouve pas dans mes souvenirs d’enfant le titre du prodigieux bouquin qui prononça pour la première fois à mes yeux le mot Vampire. Ce n’était pas un décourageant article de revue, ce n’était pas une tranche de ce pain banal qu’on émiette dans les dictionnaires : c’était un pauvre conte allemand, plein de sève et de fougue sous sa toilette de naïveté empesée. Il racontait bonnement, presque timidement, des histoires si sauvages, que j’en ai encore le cœur serré.

Je me souviens qu’il était en trois petits volumes, et qu’il y avait une gravure en taille-douce à la tête de chaque tome.

Elles ne valaient pas un prix fou, mais, Seigneur Dieu, comme elles faisaient frémir !

La première gravure en taille-douce, calme et paisible comme le prologue de tout grand poème, représentait… j’allais dire Faust et Marguerite à leur première rencontre.