Aller au contenu

Page:Féval - La Vampire.djvu/139

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
136
LA VAMPIRE

sante encore que ma question. Elle répliqua en me regardant dans les yeux :

« Père, nous étions en train de nous marier. ».

— À la bonne heure ! s’écria Berthellemot, qui fit craquer tous ses doigts. Petite parole ! je prends des notes.

— Nous sommes religieux à la maison, continua Jean-Pierre, quoique j’eusse la renommée d’un mécréant, quand je chantais vêpres à Saint-Sulpice. Ma femme pense à Dieu souvent, comme tous les grands, comme tous les bons cœurs. Il ne faut pas croire qu’un républicain, — et je l’étais avant la république, moi, monsieur le préfet, — soit forcé d’être impie. Notre petite Angèle nous faisait la prière chaque matin et chaque soir… De son côté, le jeune M. de Kervoz venait d’un pays où l’idée chrétienne est profondément enracinée. Ce n’est pas un dévot, mais c’est un croyant…

— Et un chouan ! murmura Berthellemot.

Jean-Pierre s’arrêta pour l’interroger d’un regard fixé et perçant.

— Et un chouan, répéta-t-il, je ne dis pas non. Si c’est votre police qui l’a fait disparaître, je vous prie de m’en aviser franchement. Cela mettra un terme à une portion de mes recherches et rendra l’autre moitié plus facile.

Berthellemot haussa les épaules et répondit :

— Nous chassons un plus gros gibier, mon voisin.

— Alors, reprit Jean-Pierre Sévérin, j’accepte pour véritable que vous n’avez contribué en rien à la disparition de René de Kervoz, et je continue.

Ma pauvre petite Angèle m’avait donc dit : « Père, nous sommes en train de nous marier. » René de Kervoz fit un pas vers moi et ajouta : « J’ai des pistolets comme vous ; mais si vous m’attaquez, je ne me défendrai pas. Vous avez droit : je me suis introduit nuitamment chez vous comme un malfaiteur. Vous devez croire que j’ai volé l’honneur de votre fille »

Je le regardais attentivement, et j’admirais la noble beauté de son visage.

Angèle dit :

« — René, le père ne vous tuera pas. Il sait bien que je mourrais avec vous.

« — Ne menacez pas votre père ! » prononça tout bas le jeune Kervoz, qui se mit entre elle et moi en croisant ses bras sur sa poitrine…

— Vous ne me connaissez pas, monsieur l’employé, s’interrompit ici Jean-Pierre, et il faut bien que je me montre à vous comme Dieu m’a fait. J’avais envie de l’embrasser ; car j’aime de passion tout ce qui est brave et fier.