palais, où il y a, dit-on, plus de mille crânes de jeunes filles…
— Qu’est-ce que c’est que tout cela, mon voisin ? murmura Berthellemot. Moi, je vous préviens que je perds plante. Je ne déteste pas les vampires, mais pas trop n’en faut…
— Dans la légende de Germain Patou, continua imperturbablement Jean-Pierre, la vampire ou l’oupire d’Uszel, la Belle aux cheveux changeants est éperdument amoureuse du comte Szandor, son mari, qui lui tient rigueur et ne se laisse aimer que pour des sommes folles. Il faut des millions de florins pour acheter un baiser de cet époux cruel…
— Et avare, intercala le secrétaire général.
— Et avare, répéta sérieusement Jean-Pierre. La Belle aux cheveux changeants est ainsi nommée à cause d’une circonstance particulière et tout à fait en rapport avec les sombres imaginations de la poésie slave. Elle apparaît tantôt brune, tantôt blonde…
— Parbleu ! fit Berthellemot, si elle a deux perruques…
— Elle en a mille ! l’interrompit Jean-Pierre, et chacune de ces perruques vaut la vie d’une jeune et chère créature belle, heureuse, aimée…
Ici Jean-Pierre raconta la légende que nous entendîmes déjà de la bouche de Lila, dans le boudoir du pavillon de Bretonvilliers.
Quand il eut achevé, il reprit :
— La seconde fois que j’ai vu Mme la comtesse Marcian Gregoryi, elle avait des cheveux blonds comme l’ambre.
Berthellemot s’agita dans son fauteuil.
— Cela passe les bornes ! grommela-t-il.
— Monsieur l’employé supérieur, dit Jean-Pierre d’un accent rêveur, j’ai presque achevé. La comtesse Marcian Gregoryi avait des cheveux blonds aussi beaux que ses bruns cheveux étaient naguère splendides. Je n’ai jamais vu en toute ma vie qu’une seule chevelure comparable à celle-là : ce sont les anneaux d’or qui jouent sur le front chéri de notre petite Angèle.
Même nuance, même richesse, même légèreté sous les baisers du vent.
Cela est si vrai, monsieur l’employé, que cette fois, à deux heures de nuit qu’il était, j’abordai la comtesse Marcian Gregoryi, croyant qu’elle était mon Angèle.
Il faut vous dire que je travaille la nuit aussi bien que le jour. Vous pensiez tout à l’heure que mon métier frappe le cerveau. Il se peut. En tout cas, il désapprend le sommeil.
Quand il y a de la fièvre dans l’air, de la fièvre ou du chagrin, quand les nerfs sont malades, agités, douloureux, quand le souffle, difficile oppresse la poitrine, je me dis : Voici une