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Page:Féval - La Vampire.djvu/175

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LA VAMPIRE

Un lit royal comme ceux du château de Meudon… Voyons un peu.

Il écarta les rideaux et recula de plusieurs pas, comme s’il eût reçu un coup en plein visage. Le lit était en désordre et les draps dégouttaient de sang.

— Merci Dieu ! pensa-t-il, ma blonde ne sait pas cela, j’en suis sûr ! Le sang est tout frais… On vient de tuer ici !

Son regard perçant, où brillait une audacieuse intelligence fit le tour de la chambre et plongea jusqu’au fond de la serre ! Un instant, on aurait pu croire qu’une sorte de divination lui révélait le terrible mystère de cette demeure.

Mais une pendule sonna dans la pièce voisine, et il bondit vers la croisée, qu’il enjamba de nouveau.

— Le patron m’attend, se dit-il. J’ai accompli la mission dont il m’avait chargé. Je sais où demeure la comtesse Marcian Gregoryi… et peut-être ai-je deviné le dénoûment de cette comédie, dont la première scène fut jouée à l’église Saint-Louis-en-l’Ile.

Il descendit comme il avait monté, à la force de ses bras courts mais robustes. Au moment où sa tête était déjà au niveau du balcon, son dernier regard rencontra, au ciel du lit, la plaque émaillée qui fixait les plis des rideaux. C’était un écusson qui semblait renvoyer en faisceau tous les rayons de la lampe.

Une devise en lettres noires gothiques courait sur le fond d’or et disait : In vita mors, in morte vita…

La comtesse Marcian Gregoryi était nonchalamment étendue sur les coussins de sa voiture, dont le cocher, suivant ordre reçu d’avance, arrêta ses chevaux à l’angle du pont Marie, sur le quai d’Anjou.

La comtesse descendit et dit :

— Attendez.

Elle prit sa course en longeant le quai, vers la partie orientale de l’île.

Le mur d’enclos des jardins de Bretonvilliers formait l’extrême pointe de l’éperon. C’était une enceinte solide et bâtie comme un rempart. Non loin de l’angle de la rue Saint-Louis, qui fait face à l’hôtel Lambert, une vieille construction carrée et trapue élevait sa terrasse demi-ruinée à quelques pieds au-dessus du mur.

Il y avait là une poterne basse, qui existait encore voici quelques années, et dont l’enfoncement profond servait d’abri au petit établissement d’un rétameur forain.

La comtesse Marcian Gregoryi avait la clef de cette poterne, qu’elle ouvrit pour entrer dans un lieu humide et tout noir. Quand elle eut fermé la porte derrière elle, l’obscurité fut complète.