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Page:Féval - La Vampire.djvu/181

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LA VAMPIRE

Nous savons que le gardien de la Morgue du Châtelet avait dans tout ce quartier du vieux Paris, où la chicane et la police agglomèrent leurs suppôts, une réputation bien établie. C’était un crâne homme, pour employer l’expression des citoyennes du Marché-Neuf. Il y a toujours dans l’agent de police, quoi qu’on veuille dire et croire, un brin de vocation aventureuse, et, pour ma part, je suis resté souvent confondu en lisant la prodigieuse série des actes de courage froid, solide, implacable, accomplis au jour le jour par ces hommes qui n’ont pas à leur service le stimulant de la gloire.

Sur un champ de bataille, il y a l’ivresse du point d’honneur, l’appel du tambour, l’étourdissement du canon, la fièvre de la poudre !…

Mais dans le ruisseau, la nuit, ces luttes terribles que nul bulletin emphatique ne chantera…

Ces luttes où, la plupart du temps, le bandit armé cherche à tuer, et où l’homme de la loi a défense de frapper…

Qu’ont-ils donc fait, ces héros boueux, robustes comme les guerriers d’Homère, pour que leurs prouesses accumulées ne puissent jamais rédimer l’opprobre de leur gagne-pain !

Ils étaient quatre, accompagnés par un officier de paix, jeune homme assez bien couvert, qui allait le cigare à la bouche et les mains dans ses poches.

Ils suivaient tous Gâteloup avec plaisir et flairaient quelque curieuse bagarre.

L’officier de paix écoutait, en gardant le sérieux de son grade, certaines anecdotes racontées à voix basse par Laurent et Charlevoy, toutes à la louange du vigoureux poignet de M. Sévérin ; le troisième agent applaudissait franchement ; le quatrième, laid coquin, à la figure toute velue de barbe noire, marchait un peu en arrière et grommelait :

— J’ai vu mieux que ça ! C’est vrai qu’il tape dur !

Quand Jean-Pierre s’arrêta au coin de la rue de Bretonvilliers et du quai, ce quatrième agent se mit à rire dans sa barbe et murmura :

— Tiens ! c’te farce ! c’est à l’établissement qu’il en veut. Pourtant il avait trouvé le vin mauvais.

Jean-Pierre frappa bruyamment à la porte du cabaret de la Pêche miraculeuse. Personne ne fit réponse à l’intérieur.

— Mes enfants, dit Jean-Pierre, il faut me jeter bas ces planches-là.

— Auparavant, fit observer l’officier de paix, je dois accomplir les formalités d’usage.

— Pas besoin, monsieur Barbaroux, dit par derrière une voix qui dressa l’oreille de Jean-Pierre. La farce est jouée là-dedans. Le propriétaire a déménagé.