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Page:Féval - La Vampire.djvu/192

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LA VAMPIRE

— Non, répliqua Gâteloup d’une voix changée, tout n’est pas fini.

Il ajouta en refoulant un sanglot dans sa gorge :

— C’est vrai que c’était demain le mariage ! ma pauvre femme ne survivra pas à cela…

Sa main fiévreuse déplia un autre papier.

« … J’ai voulu voir ta chambre, que je connaissais si bien, quoique je n’y fusse jamais entrée. J’avais un espoir d’enfant : je croyais t’y trouver.

« La portière m’a laissée monter. Je t’écris chez toi : cela me portera bonheur.

« Je suis à l’endroit où je te voyais assis, quand je regardais par ma fenêtre. C’est de là que tes yeux m’ont parlé pour la première fois.

« J’ai devant moi les portraits de ton père et de ta mère. Comme ta mère doit l’aimer ! et combien je l’aime !

« Il y a une lettre commencée où tu lui parlais de moi. M’as-tu donc chérie ainsi, René ? Et pourquoi m’as-tu quittée ?

« Que t’ai-je fait ? Ne suis-je pas toute à toi ?

« Il y a là aussi un mouchoir sanglant, avec des armoiries et une couronne…

« Je ne peux pas rester ici, il faut que j’aille à toi et que je te cherche…

« D’ailleurs, il est un autre endroit où je te parlerai mieux qu’ici, c’est près du pont Marie, sous le quai des Ormes, là où nous nous assîmes entre le gazon et les fleurs, écoutant les murmures du vent dans le feuillage des grands arbres.

« Je ne suis pas folle encore, va ; j’ai bien de l’espoir depuis que j’ai vu l’image de la Vierge dans la ruelle de ton lit.

« Tu ne m’as pas oubliée, tu es prisonnier quelque part, je te délivrerai.

« René, mon René, ma vie ! j’ai baisé le portrait de ta mère… »

— Est-ce la dernière ? demanda Gâteloup d’une voix qui défaillait.

— Non, répondit Patou, il y a celle qui est écrite avec du sang.

— Lis, murmura le vieillard, je n’ai plus de force.

Germain Patou essuya tranquillement ses yeux mouillés, dont les paupières le brûlaient.

« … Tout un jour encore, tout un long jour ! Où es-tu ? Les gens du quartier me connaissent et m’appellent déjà la folle.

« J’ai jeté les deux lettres avant l’aube. N’as-tu pas entendu les cailloux frapper contre les carreaux ? J’ai regardé. On ne voit rien. J’ai appelé. Tu n’as pas répondu.