Aller au contenu

Page:Féval - La Vampire.djvu/202

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
199
LA VAMPIRE

la même chose peut et doit produire des résultats tout à fait contraires, selon le mode et la quantité de l’emploi ? Dans l’ordre moral, la passion, ce don suprême de Dieu, source de toute grandeur, engendre toutes les hontes et toutes les misères ; l’orgueil avilit, l’ambition abaisse, l’amour fait la haine ; dans l’ordre physique, le vin exalte ou stupéfie, — selon la dose.

— Je sais cela, dit Jean-Pierre, qui courba la tête.

— Le bon La Fontaine, dans une fable qui n’amuse pas les enfants, reproche au satyre de souffler le chaud et le froid, employant une seule et même chose : son haleine, à refroidir sa soupe et à réchauffer ses doigts. C’est une image vulgaire, mais frappante, de la nature. Tout, ici-bas, tout souffle le chaud et le froid. L’univers est homogène ; il n’y a pas dans la création, si pleine de contrastes, deux atomes différents ; le physicien qui vient de promulguer cet axiome va changer en quelques années la face de toutes les sciences naturelles. Le siècle où nous entrons inventera plus, grâce à ces bases nouvelles, expliquera mieux et produira autant, lui tout seul, que tous les autres siècles réunis…

— Ses yeux essayent de s’ouvrir ! murmura Gâteloup, dont le regard inquiet était toujours fixé sur René de Kervoz.

— Ils s’ouvriront, répliqua Patou.

— Si tu lui donnais encore une de ces petites dragées ?

— Bravo, patron ! s’écria l’étudiant en riant. Vous voilà converti à l’opium qui réveille ! malgré le facit dormire de Molière, qui est la vérité même ! Je n’ai pas eu besoin de vous citer le plus extraordinaire et le plus simple parmi les faits scientifiques de ce temps : le cow-pox d’Édouard Jenner, sa vaccine, qui est le virus même de la petite vérole et qui préserve de la petite vérole.

— Donne une dragée, garçon.

— Patience ! la dose ne suffit pas ; il faut l’intervalle… on s’enivre aussi avec ces joujoux qu’on nomme des petits verres, quand on les vide trop souvent.

Jean-Pierre essuya la sueur de son front, Patou tenait la main du dormeur et lui tâtait le pouls.

— Mais enfin, grommela Gâteloup, dont la vieille raison se révoltait encore, si tu me trouvais, un beau matin, couché sur le carreau de la chambre, avec de l’arsenic plein l’estomac…

— Patron, interrompit l’étudiant, vous n’avez pas besoin d’aller jusqu’au bout. Je vais vous répondre. Le jour où la vérité m’a frappé comme un coup de foudre, c’est que, n’espérant plus rien de la médication ordinaire et me trouvant auprès d’un malheureux, empoisonné par l’arsenic, j’essayai