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LA VAMPIRE

C’est qu’elle est, en effet, généralement la médecine de bien des gens dont on parle ; elle soigne l’art qui est en vue et tâte volontiers le pouls des mains qui tiennent le sceptre, tout en ouvrant bien larges au travail et à l’infortune les portes de ses dispensaires. Ceux qu’elle tue, comme disait notre grand comique, ennemi né des médecins, font du bruit en tombant.

Et puis, les meilleures médailles ont leur revers. Samuel Hahnemann, qui a inventé tant de spécifiques, n’a pas laissé dans son testament la formule capable d’extirper le charlatanisme.

Il y a des charlatans partout, et les charlatans, par une heureuse propriété de leur nature, préfèrent les palais aux chaumières.

En somme, nous avons voulu montrer ici seulement les débuts d’un praticien original qui, sous la Restauration, quinze ans plus tard, passa pour sorcier, tant ses cures semblèrent merveilleuses.

Après qu’il eut prononcé le nom d’Angèle, René de Kervoz redevint silencieux ; mais son pâle visage prit, en quelque sorte, le pouvoir d’exprimer ses pensées. On pouvait suivre sur son front comme un reflet fugitif des rêves qui traversaient son sommeil.

Jean-Pierre Sévérin et Germain Patou l’examinaient tous les deux avec attention. Tantôt sa physionomie s’éclairait, trahissant une vague extase, tantôt un nuage sombre descendait sur ses traits, qui exprimaient tout à coup une poignante souffrance.

L’étudiant consulta plusieurs fois sa montre, et ne donna la troisième prise du médicament que quand l’aiguille marqua l’heure voulue.

Quelques minutes après que le globule eut fondu sur la langue du dormeur, ses yeux s’ouvrirent encore, mais cette fois tout grands.

Ses yeux n’avaient point de regard.

— Lila ! prononça-t-il d’une voix changée.

Puis avec une soudaine colère qui enfla les veines de son front :

— Va-t’en ! va-t’en !

— M’entendez-vous, monsieur de Kervoz ? demanda Jean-Pierre, incapable de se contenir.

On eût dit un charme subitement rompu.

Les paupières de René retombèrent, tandis qu’il balbutiait :

— C’est un songe ! toujours le même songe ! tantôt Lila ! tantôt Angèle… l’haleine brûlante du démon, les doux cheveux de la sainte !…