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LA VAMPIRE

Puis, sa raison se révoltant contre sa conviction, qui n’avait aucune base humaine et ressemblait à l’entêtement de la démence, il s’écria :

— Courons ! cherchons !…

Sa parole s’arrêta dans sa gorge, et ses yeux devinrent hagards.

— Il y a longtemps déjà, fit-il d’une voix qui semblait ne pas être à lui, longtemps. J’ai tout vu en rêve et tout entendu, tout ce qu’elle écrivait… Sa pauvre plainte me venait d’en haut… Et j’ai été dans le jardin du quai des Ormes, au bord de l’eau… une nuit où la Seine coulait à pleines rives… Elle s’est mise à genoux… et le Désespoir l’a prise par la main, l’entraînant doucement dans ce lit glacé où l’on ne s’éveille plus jamais… jamais !…

Un sanglot convulsif déchira sa poitrine.

— Le reste est horrible ! poursuivit-il, parlant comme malgré lui. Elle est venue… mes lèvres connaissaient si bien ses doux cheveux J’ai baisé les chères boucles de sa chevelure ; j’en suis certain, j’en jurerais… Qui donc m’a raconté la hideuse histoire de ce monstre gagnant une heure de vie pour chaque année de l’existence qu’elle volait à la jeunesse, à la beauté, à l’amour ?

Ce fut un cri qui répondit à cette question.

— Lila !… c’est Lila qui me l’a dit… Et la Vampire ne peut se soustraire à cette loi de conter elle-même sa propre histoire ?…

Il s’élança loin du lit, comme si le contact des couvertures l’eût brûlé.

— Je me souviens ! je me souviens ! râla-t-il, en proie à un spasme qui l’ébranlait de la tête aux pieds, comme l’ouragan secoue les arbres avant de les déraciner. Il y a des choses qui ne se peuvent pas dire… Mon cœur restera flétri par ce sépulcral baiser… C’est ici l’antre du cadavre animé… du monstre qui vit dans la mort et qui meurt dans la vie !

Son doigt crispé montrait la devise latine, que les lueurs du matin, glissant par l’ouverture de la porte entre-bâillée, éclairaient vaguement.

Il chancela. Jean-Pierre et Patou coururent à lui pour le soutenir, mais il les repoussa d’un geste violent.

— Tout est là, désormais ! dit-il en se frappant le front. Ma mémoire ressuscite. J’ai trahi le sang de ma mère… Tant mieux ! entendez-vous ? tant mieux ! ma trahison va me mettre sur les traces de la comtesse Marcian Gregoryi… Angèle sera vengée !

Il se précipita, tête première, au travers des appartements et descendit l’escalier en quelques bonds furieux.