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Page:Féval - La Vampire.djvu/224

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LA VAMPIRE

Ce jeune homme avait été trouvé dans une sombre demeure du Marais, au fond d’un véritable cachot, sans porte ni fenêtre, endormi d’un sommeil mortel.

Et la demeure en question communiquait par des passages souterrains avec ce cabaret fameux, la Pêche miraculeuse, qui avait vécu durant des semaines et des mois de ce sinistre achalandage : les débris humains, descendant en Seine par l’égout de Bretonvilliers.

On n’oubliait pas, bien entendu, les cimetières violés, et l’on se demandait avec effroi pourquoi ce luxe d’horreurs.

Dans l’après-midi, troisième marée de nouvelles : une maison de la chaussée des Minimes, prise d’assaut par la police, avait révélé des excès tellement hideux que la parole hésitait à les transmettre. C’était là le grand magasin de cadavres, et toute cette comédie lugubre du quai de Béthune n’avait pour but que de rompre les chiens.

Un trou s’ouvrait dans la serre de cette maison de la chaussée des Minimes : un lieu délicieux où restaient des traces de plaisir et d’orgies, un trou méphitique où de véritables monceaux de corps humains se consumaient, rongés par la chaux vive.

Tout cela était si invraisemblable et si fort que, vers le soir, Paris se mit à douter.

Il y en avait trop. Tout avide qu’il est des drames rouges ou noirs, Paris, rassasié cette fois, se sentait venir la nausée.

Mais au moment où Paris, vaincu dans son redoutable appétit par l’abondance folle du menu, allait demander grâce et déserter le festin, un nouveau service arriva foudroyant celui-là, et si friand qu’il fallut bien se remettre à table.

Il ne s’agissait plus de cancans plus ou moins vraisemblables : c’était un fait, de la chair visible et tangible, morbleu ! le résidu tout entier d’une épouvantable tragédie, le marc sanglant de tout un massacre !

Le théâtre où devait se faire cette exhibition eût-il été à dix lieues des faubourgs, que Paris eût pris ses jambes à son cou.

Mais le théâtre était au plein cœur de la ville, au beau milieu de la Cité, entre le palais et la cathédrale.

Vous vous souvenez de cette petite maison en construction dont les maçons saluèrent Jean-Pierre Sévérin du nom de patron, quand il passa sur le Marché-Neuf, le soir où commence notre histoire ?

Cette maison était achevée. C’était le théâtre dont nous parlons.

Et le théâtre faisait aujourd’hui son ouverture.

Ouverture dont la terrifiante solennité ne devait être oubliée de longtemps.