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Page:Féval - La Vampire.djvu/29

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LA VAMPIRE

Puis il ajouta :

« — Monsieur l’abbé, vous savez que je ne me mêle guère de politique. Mon commerce avant tout, et s’il arrivait quelque chose au premier consul, vous jugez quel gâchis !

« — Que Dieu nous en préserve ! » a dit l’abbé en faisant un grand signe de croix.

Après quoi il a donné au maquignon l’adresse d’une personne dont je n’ai pas entendu le nom et qui demeure « en son hôtel, chaussée des Minimes ».

Et il a ajouté :

« — Celle-là est un ange et une sainte.

« — Tout ce que vous voudrez, monsieur l’abbé, a répondu le gros marchand, qui a l’air d’un joyeux compère, pourvu qu’elle m’achète une paire ou deux de mes beaux chevaux normands… »

— Il n’a point parlé de son neveu ? demanda le patron.

— Pas que je sache, répondit Patou, mais je n’ai entendu que la fin de leur entretien… Et la leçon du professeur Loysel me trottait encore un peu par la tête ! Quel gaillard que ce Hahnemann !… Un véritable ange, je ne dis pas une sainte, je n’en sais rien, c’est cette blonde comtesse. Vous n’avez pas pu la bien voir comme moi. La nuit venait déjà, et il faut le grand jour à ces exquises perfections. Des yeux, figurez-vous deux saphirs ! une bouche qui est un sourire, une taille qui est un rêve de grâce et de jeunesse, des cheveux transparents où la lumière glisse et joue…

— Petit homme, interrompit le patron, je suis ici pour René et pour Angèle.

— Bon ! s’écria Patou. Il paraît que je m’enflammais comme une brassée de bois sec, patron ? Et pourtant je ne me fais pas l’effet d’être un amoureux. Mais il est certain que, si le diable pouvait me tenter, cette créature-là… Enfin, n’importe ; arrivons à M. René de Kervoz. Je crois que M. René de Kervoz est du même avis que moi et que votre pauvre Angèle avait deviné tout cela avant nous.

Je vais vous faire le procès-verbal pur et simple de ce que j’ai vu. Ce n’est pas grand’chose, mais vous êtes un finaud, vous, patron, et vous allez trouver du premier coup le mot de l’énigme.

Après le départ du gros marchand de chevaux, l’abbé Martel est rentré à la sacristie, et j’ai pris mon poste au coin du pilier. Un pas léger m’a fait tourner la tête ; un éblouissement a passé devant mes yeux : c’était l’ange blond. Parole d’honneur ! je n’ai jamais rien imaginé de plus charmant… L’ange a franchi le seuil de la sacristie, laissant derrière elle ce vent parfumé qui trahissait la présence de Vénus. Voir Virgile.