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Page:Féval - La Vampire.djvu/47

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LA VAMPIRE

Mais Angèle n’était pas encore une femme tout à fait ; les jeunes filles aiment autrement que les femmes. Angèle tenait le milieu entre la femme et la jeune fille.

René tourna le coin de la rue de Saint-Louis et se dirigea vers le retour du quai d’Anjou qui faisait face à l’île Louviers.

Ce n’était pas la première fois qu’Angèle suivait René. Elle avait le droit de le suivre, si la plus sacrée de toutes les promesses, ce contrat d’honneur liant l’homme à la pure enfant qui s’est donnée, confère un droit.

Angèle était pour tous la fiancée de René de Kervoz ; elle était sa femme devant Dieu.

Jamais elle n’en avait tant vu qu’aujourd’hui.

Ce qu’elle soupçonnait, depuis longtemps peut-être, lui entrait dans le cœur, ce soir, comme une certitude amère.

René aimait une autre femme.

Non point comme il l’avait aimée, elle, doucement et saintement. Oh ! que de bonheur perdu !

René aimait l’autre femme avec fureur, avec angoisse.

À moitié chemin de la rue Poultier, au retour oriental du quai d’Anjou, un mur monumental formait l’angle de la rue Bretonvilliers, à l’autre bout de laquelle était le cabaret de la Pêche miraculeuse.

Le pâté de propriétés compris entre les deux rues formait la pointe est de l’île ; il se composait du pavillon de Bretonvilliers et de l’hôtel d’Aubremesnil, avec leurs jardins : ces deux habitations, séparées seulement par une magnifique avenue, appartenaient au même maître, l’ancien conseiller au parlement dont il a été parlé.

Outre ces demeures nobles, il y avait quelques maisons bourgeoises ayant façade sur rue.

Le pavillon de Bretonvilliers, qui n’était autre chose que le pignon d’un très vieil hôtel, sorte de manoir contemporain peut-être de l’époque où l’île était encore la campagne de Paris, s’enclavait dans le mur et faisait même une saillie de plusieurs pieds sur la voie : ce qui motiva plus tard sa démolition.

Il n’avait que deux étages : le premier à trois fenêtres de façade ; le second, beaucoup moins élevé, à cinq ; le tout était surmonté d’une toiture à pic.

Il n’existait point d’ouverture au rez-de-chaussée. On y entrait par une porte percée dans le mur, à droite de la façade et donnant dans les jardins.

Ce fut à cette porte que René de Kervoz frappa.

Un aboiement de chien, grave et creux, qui semblait sortir de la gueule d’un animal géant, répondit à son appel.

Une femme âgée et portant un costume étranger vint