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Page:Féval - La Vampire.djvu/65

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LA VAMPIRE

prompt qui s’appelle tout le monde : un nom qui est une explication et devrait être souvent une excuse, car l’espion, ce soldat de la lutte douloureuse et sans gloire, met, la plupart du temps, sa vie même au service de son obscur dévouement..

René n’était pas un espion. On est espion par passion, par devoir ou pour un salaire. René vivait d’une existence complètement en dehors de la politique. Les idées qui enfiévraient encore ceux de son pays et de sa race n’avaient jamais été en lui. Il appartenait à cette génération transitoire qui réagissait contre la violence des grands mouvements : c’était un penseur, peut-être un poète ; ce n’était ni un chouan, ni un républicain, ni un bonapartiste.

Au point de vue politique, la réunion qui avait lieu derrière ces muettes murailles n’avait pour lui aucune espèce d’intérêt. La passion ici lui manquait ; il n’en était ni à discuter ni surtout à reconnaître ce devoir qui naît pour chacun à l’heure même où une conspiration montre le bout de son oreille, devoir controversé, mais que l’opinion du plus grand nombre caractériserait certainement ainsi : faire ou ne pas faire.

Combattre pour ou aller contre.

La neutralité porte honte.

René, pourtant, restait neutre, non point par défaut de courage, mais parce que, à certaines époques et après certaines secousses, le patriotisme ne sait pas à quoi se prendre.

Les partis ont intérêt à être sévères et à nier ces subtiles évidences ; mais l’histoire parle plus haut que l’intolérance des raisonneurs et confesse de temps à autre qu’il y a lieu de se demander, parmi la cohue des égoïsmes ébriolant : Où donc est la patrie !

René restait là et ne s’interrogeait même pas sur la question de savoir quel usage il ferait d’une découverte éventuelle ! Le souvenir de la machine infernale lui traversa l’esprit et le laissa dans sa somnolence morale.

Cela ne lui importait point. Il semblait qu’il fût dans un monde à part, tout plein de romanesques et puériles préoccupations.

On lui avait jeté un sort.

Il songeait à elle, à elle seulement. Elle était là. Qu’y faisait-elle ?

Il était là pour elle. Il restait là pour la voir sortir comme il l’avait vue entrer, et pour la suivre de nouveau, n’importe où.

Chose lugubre, la pensée d’Angèle lui venait à chaque instant et il la chassait brutalement comme on secoue la tyrannie de ces refrains qui s’obstinent.