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LA VAMPIRE

enfantillage ajoute à tout texte désormais, il eût été bien longtemps à repêcher les vérités éparses parmi la confusion de ses souvenirs.

Dans la serre, à travers les carreaux, il aperçut le nègre — le nègre géant — qui fumait une paille de maïs bourrée de tabac, couché tout de son long qu’il était sous un latanier en fleurs.

Ce nègre regardait en l’air avec béatitude le vol tortueux des fumées de son cigarite et semblait le plus heureux des moricauds.

Rien dans son affaissement paresseux n’annonçait la férocité.

Il n’avait plus ce couteau aigu et diaboliquement effilé qui avait été si près de faire connaissance avec les côtes de notre jeune Breton.

Dans la chambre même et non loin de la fenêtre qui donnait sur le jardin, ce jeune homme très maigre et très pâle, qui avait les cheveux tout blancs, lisait, plongé dans une bergère et les pieds sur un fauteuil. Il portait un costume bourgeois d’une rigoureuse élégance.

René ne vit pas autre chose au premier moment.

Mais un autre sens, sollicité plus vivement que la vue elle même, fit retomber ses paupières fatiguées et bien faibles encore.

Par la porte ouverte de la bibliothèque, un chant venait, accompagné par les accords d’une harpe.

La harpe était alors à la mode et toute jolie femme faisait faire son portrait dans le costume prétentieux de Corinne, les pieds sur une pédale, les mains étendues comme dix pattes d’araignée et grattant sur l’instrument théâtral par excellence des arpèges solennels comme une phrase de Mme de Staël.

La guitare vint ensuite, terrible décadence des dernières années de l’empire et transition langoureuse à la migraine que l’abus du piano épand sur le monde.

Des trois instruments le plus haïssable est assurément le piano, dont les Anglaises elles-mêmes ont fini par comprendre le clapotant clavier. Il n’y aura rien après le piano, qui est l’expression la plus accomplie de la tyrannie musicale.

La guitare faisait moins de bruit.

La harpe était belle.

La voix qui venait par la porte de la bibliothèque disait un chant hardi, sauvage, ponctué selon ces cadences inattendues et heurtées du rythme slave. La voix accentuait cette mélodie presque barbare avec une incroyable passion.

La voix était sonore, étendue, pleine de ces vibrations qui étreignent l’âme. Elle mordait, s’il est permis de faire un