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Page:Féval - La Vampire.djvu/83

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LA VAMPIRE

Là, c’était le calme bon et noble, la sainte sérénité des familles.

La vieille mère berçait un enfant, car René de Kervoz était bien autrement engagé que le commun des fiancés ; le père à cheveux blancs lisait, la jeune fille brodait, pensive et triste.

Mais vîtes-vous jamais le changement féerique que produit sur le paysage désolé le premier rayon de soleil au printemps ?

René était ici le soleil ; l’entrée de René fut comme une contagion de sourires.

La mère lui tendit la main, le père jeta son livre, la jeune fille, heureuse, se leva et vint à lui les deux bras ouverts.

René paya de son mieux cet accueil, toujours le même, et dont la chère monotonie était naguère sa meilleure joie. Le plus cruel supplice pour l’homme qui se noie, est, dit-on, la vue du rivage. Ici était le rivage, et René se noyait.

L’aïeule lui mit l’enfant endormi dans les bras. René le baisa avec un serrement de cœur et n’osa point regarder la jeune mère, — non pas qu’il eût à un degré quelconque la pensée lâche d’abandonner ces pauvres créatures. Nous l’avons dit, René était l’honneur même ; mais la conscience des torts qu’il avait envers eux déjà le navrait. Il sentait bien qu’il les entraînait avec lui sur la pente d’un irréparable malheur.

Et il n’avait ni le pouvoir de s’arrêter ni la volonté peut-être.

Il n’y avait encore rien eu dans la maison ; nous savons, en effet, que l’absence nocturne de René avait passé inaperçue. L’inquiétude n’était pas née encore chez ces bonnes âmes. Elle naquit justement ce soir-là.

Quand René se fut retiré à l’heure ordinaire, la mère alla se coucher, maussade et triste pour la première fois depuis bien longtemps ; le patron gagna silencieusement sa retraite, et Angèle resta seule auprès du petit qu’elle baisa en pleurant.

Le malheur venait d’entrer dans cette pauvre maison tranquille.

Désormais les moindres symptômes devaient être aperçus et passés au tamis d’une affection déjà jalouse.

Angèle resta longtemps, ce soir-là, assise à sa fenêtre en guettant de l’autre côté de la rue (car ils étaient voisins) la lampe de René qui tardait à s’éteindre.

René pensait à elle justement, ou plutôt René croyait penser à elle, car c’était son image qu’il évoquait comme une sauvegarde ; mais, à travers cette image, il voyait sa folie : un éblouissement, une fatalité.