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Page:Féval - La Vampire.djvu/9

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LA VAMPIRE

grands mots, appartenant spécialement à cette époque solennelle ; on mettait le tout comme une purée sous le héros, cuit à point, qui était un « cœur vertueux », une « âme sensible », daignant croire au « souverain maître de l’univers » et aimant à voir lever l’aurore.

Le contraste de ces confitures philosophiques et de ces sépulcrales abominations formait un plat hybride, peu comestible, mais d’un goût étrange, qui plaisait à ces jolies dames, vêtues si drôlement, avec des bagues aux orteils, la ceinture au-dessus du sein, la hanche dans un fourreau de parapluie et la tête sous une gigantesque feuille de chicorée.

Paris a toujours adoré d’ailleurs les contes à dormir debout qui lui procurent la délicieuse sensation de la chair de poule. Quand Paris était encore tout petit, il avait déjà nombre d’histoires à faire frémir, depuis la coupable association formée entre le barbier et le pâtissier de la rue des Marmousets, pour le débit des vol-au-vent de gentilshommes, jusqu’à la boucherie galante de la maison du cul-de-sac Saint-Benoît, dont les murs démolis avaient plus d’ossements humains que de pierres.

Et depuis si longtemps, à cet égard, Paris a peu changé.

Aux premiers mois de l’année 1804, il y avait dans Paris une vague et lugubre rumeur, née de ce fait que des pêches miraculeuses avaient lieu depuis quelque temps à la pointe orientale de l’île Saint-Louis, en tournant un peu vers le sud-est, non loin de l’endroit où les bains Petit réunissent aujourd’hui, dans les mois d’été, l’élite des tritons parisiens.

C’est chose rare qu’un banc de poisson dans Paris. Tant d’hameçons, tant de nasses, tant d’engins divers sont cachés sous l’eau entre Bercy et Grenelle, que les goujons seuls, d’ordinaire, et les imprudents barbillons se hasardent dans ce parcours semé de périls. Vous n’y trouveriez ni une carpe, ni une tanche, ni une perche, et si parfois un brochet s’y engage, c’est que ce requin d’eau douce a le caractère tout particulièrement aventureux.

Aussi la gent pêcheuse faisait-elle grand bruit de l’aubaine envoyée par la Providence aux citoyens amateurs de la ligne, de l’épervier et du carrelet. Sur un parcours d’une centaine de pas, depuis l’égout de Bretonvilliers jusqu’au quai de la Tournelle, tout le long du quai de Béthune, vous auriez vu, tant que le jour durait, une file de vrais croyants, immobiles et silencieux, tenant la ligne et suivant d’un œil inquiet le bouchon flottant au fil de l’eau.

Dire que tout le monde emplissait son panier serait une imposture. Les bancs de poisson, à Paris, ne ressemblent guère à ceux de nos côtes ; mais il est certain que çà et là