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LE BOSSU.

— Quelque chose de pire que la laideur, reprit-il, c’est la pauvreté… J’étais pauvre… je n’avais point de parents… je pense que mon père et ma mère ont eu peur de moi le jour de ma naissance et qu’ils ont mis mon berceau dehors… Quand j’ai ouvert les yeux, j’ai vu le ciel gris sur ma tête, le ciel qui versait de l’eau froide sur mon pauvre petit corps tremblotant… Quelle femme me donna son lait ?… Je l’eusse aimée… ne riez plus !… S’il est quelqu’un qui prie pour moi au ciel, c’est elle… La première sensation dont je me souvienne, c’est la douleur que donnent les coups… Aussi appris-je que j’existais : par le fouet qui déchira ma chair… Mon lit, c’était le pavé… Mon repas, c’était ce que les chiens repus laissaient au coin de la borne… Bonne école, messieurs, bonne école !… Si vous saviez comme je suis dur au mal !… Le bien m’étonne et m’enivre comme la goutte de vin monte à la tête de celui qui n’a jamais bu que de l’eau !

— Tu dois haïr beaucoup, l’ami ! murmura Gonzague.

— Eh ! eh !… beaucoup… oui, monseigneur… J’ai entendu çà et là des heureux regretter leurs premières années… Moi, tout enfant, j’ai eu de la colère dans le cœur… Savez-vous ce qui me