Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/107

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de l’école écossaise. Descartes était traîné sur le tapis ; le système électrique lui-même, malgré sa jeunesse débile, obtenait l’aumône d’un sarcasme ou d’un haussement d’épaule.

À deux pas de là, c’était une autre histoire. L’amour faisait les frais de l’entretien. On parlait de lèvres roses et de grands yeux noirs souriants. Les don Juan racontaient leurs aventures ; les timides soupiraient, les poètes radotaient, les fanfarons mentaient.

Enfin il y avait d’autres groupes qui s’enfonçaient jusqu’au cou dans la politique, et Dieu sait ce que l’Europe restaurée devenait entre les mains de ces Publicola barbus.

Non loin du petit comptoir de maître Elias Kopp, immédiatement au-dessous du Magasin de l’Honneur, une table était occupée par cinq ou six jeunes gens qui entouraient un de leurs camarades, enveloppé dans un manteau écarlate. — Cette couleur voyante n’était point à remarquer dans une assemblée où l’uniformité des costumes n’excluait aucune tentative excentrique. — L’étudiant, ainsi vêtu, remplaçait la petite casquette universitaire par un large feutre de voyage. Une profusion de cheveux noirs et brillants comme le jais tombait le long de ses joues blanches et pâles. — Il pouvait avoir vingt ans. — Ses traits, d’une régularité mâle, exprimaient dans leur harmonieux ensemble l’ardeur d’un jeune courage, tempérée par les conseils précoces d’une fermeté au-dessus de son âge.

Son regard était impérieux et fier ; sa bouche sérieuse semblait faite pour commander.

Bien qu’il fût assis et nonchalamment adossé à la muraille, on devinait une noble taille sous les plis amples de son manteau.

Quand les nuages de fumée se dissipaient par intervalles, et que le regard pouvait plonger çà et là dans la taverne, on apercevait vaguement deux autres étudiants vêtus de manteaux rouges, qui semblaient, au travers de la brume, une reproduction effacée du premier.

S’il eût été raisonnable de penser qu’une glace pouvait se trouver par hasard dans l’austère établissement de maître Elias Kopp, on aurait pu croire que l’image du bel étudiant, deux fois répercutée, apparaissait confusément parmi les nuages de vapeur…