Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/110

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— Et comptez-vous rester quelque temps avec nous ? reprit Michaël.

— Jusqu’à demain seulement… Il ne fait pas bon pour nous, mes amis, dans la cité de Heidelberg… nous sommes trop près ici du château de Rothe, et les gens qui ont tué notre père ont trop d’intérêt à nous envoyer le rejoindre.

— C’était un vaillant et digne Allemand que le comte Ulrich ! dit le poëte en élevant son verre avec solennité : — je consacrerai quelque jour des vers à sa mémoire ; en attendant, que Dieu fasse paix à son âme !

Tous les étudiants, assis autour d’Otto, se découvrirent avec respect.

Les groupes voisins commençaient à faire silence et cherchaient à saisir quelques paroles à la volée.

— Je n’ai plus qu’un ducat, disait en ce moment Goëtz. — Pourquoi diable Otto m’a-t-il confié la bourse de la famille ? Avec un ducat, on ne peut pas faire à trois le voyage de France… Voyons, Rodolphe, mon fils, quitte ou double !

— De longs cheveux blonds, soyeux et doux, disait à son tour, Albert, le troisième frère, qui poursuivait une histoire déjà commencée, — tombant comme des ondes d’or liquide sur de blanches épaules… Vous n’avez jamais aimé de marquises, vous autres ?…

Le plus hardi Lovelace de toute l’université de Heidelberg avait élevé ses désirs téméraires jusqu’à la femme d’un échevin.

— Les bourgeoises ! reprit Albert avec un geste dédaigneux ; — mes amis, ne me parlez pas des bourgeoises… La soie, le velours, les diamants…

— J’ai perdu mon dernier ducat ! interrompit la voix piteuse de Goëtz !

L’auditoire d’Albert poussa en chœur un long éclat de rire.

— On a commencé une procédure contre vous, reprenait en ce moment Michaël en s’adressant à Otto ; — les docteurs ont essayé de s’opposer à cette infamie ; mais ils ne sont pas les plus forts, et Dieu sait où s’en vont nos vieux privilèges !… Vous êtes accusés tous les trois de conspiration au premier chef ; et si vous étiez une fois dans les prisons de la Bavière ou de l’Autriche, votre affaire ne serait pas douteuse… Il y a toujours de la place dans les cachots du Spielberg.

— Aussi ne resterons-nous pas longtemps en Allemagne, répondit Otto.