Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/13

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était trop préocupé pour s’amuser à regarder les passants sous le nez.

Comme ils touchaient à la porte de sortie, donnant sur la Zeil, un courrier à cheval arrivait au grand galop devant l’hôtel des postes. Ce courrier portait la livrée des comtes de Bluthaupt : rouge sur noir.

L’effort qu’il fit pour arrêter court son cheval, dont le poitrail frôlait presque le plus âgé de nos deux voyageurs, attira vers ce dernier son attention, bien qu’il eût les yeux fixés déjà sur le jeune homme au manteau rouge.

Une expression d’étonnement vint se peindre sur son visage, enflammé par la rapidité de sa course.

Il était évident que les deux voyageurs lui étaient également connus.

Il hésita un instant entre les deux ; quand il se retourna enfin, le plus jeune rasait à gauche les maisons de la Zeil, tandis que l’autre remontait précipitamment la rue dans la direction opposée.

— Je ne veux jamais boire un verre de bière, murmura le courrier, — si ce beau fils n’est pas un des trois bâtards de Bluthaupt !… Quant à l’autre, ses cheveux étaient plus noirs que cela, il y a cinq ans, lorsqu’il vint épouser la comtesse Hélène… mais c’est bien M. le vicomte d’Audemer !

Tout en pensant de la sorte, il sauta lestement sur le pavé de la cour, jeta la bride à un palefrenier, et s’élança dans la Zeil.

Ici la même hésitation le reprit. Celui qu’il appelait le bâtard avait tourné à gauche, et le vicomte était à droite. Quel côté choisir ? — Après avoir été indécis durant une seconde, il remonta la Zeil en courant à la poursuite de M. d’Audemer ; mais une multitude de voies étroites ou larges débouchaient sur la rue principale ; le vicomte avait tourné l’une d’elles sans doute. Le courrier, qui se nommait Fritz, désespéra bientôt de le rejoindre. Il revint alors sur ses pas, et chercha le plus jeune des deux voyageurs, qui fut également introuvable.

Le courrier gratta son front mouillé de sueur, sous sa petite casquette rouge et noire.

— J’aurais mieux fait de les appeler tout de suite ! grommela-t-il ; — mais ça m’a coupé la parole de les voir tous deux à la fois… Ils avaient l’air de ne pas se reconnaître… ce grand diable de chapeau ca-