Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/147

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Cette fois, Otto fut si longtemps à chercher la carte que maître Bîasius eut le loisir de remplir son verre vide.

Les pas du veilleur, affaiblis par l’éloignement, laissaient entendre un grincement très-léger, semblable au son produit par deux morceaux de fer que l’on eût frottés l’un contre l’autre.

Otto remua son siège et toussa longuement.

— Vous vous enrhumez, dit Blasius : quand on ne boit pas, ces soirées d’hiver sont mauvaises pour la poitrine… S’il vous plaît, fournissez ou coupez ; j’ai joué trèfle.

Otto glissa vers lui un regard rapide, comme s’il eût soupçonné de la raillerie derrière ces paroles. Mais le geôlier en chef de Francfort ne raillait jamais.

Otto se remit et revint au jeu. Le coup terminé, maître Blasius, dont la solennelle figure exprimait une satisfaction non équivoque, marqua une impériale et deux points.

Il se frotta tout doucement les mains, tandis qu’Otto mêlait les cartes à son tour. Ce dernier oublia de faire couper.

— Permettez ! s’écria Blasius scandalisé ; — où diable avez-vous l’esprit, meinherr Otto ?… des choses comme cela suffisent pour faire changer la veine !

Otto, maudissant sa distraction, s’excusa en tâchant de sourire. Maître Blasius chargea sa pipe et pardonna.

— Je suis un observateur, reprit-il en clignant de l’œil, et je crois connaître mon monde assez passablement… Sans ces jolies petites lettres qui vous viennent de Paris, je ne vous croirais pas amoureux ; et si je ne vous croyais pas amoureux, je ne serais pas éloigné de penser, Dieu me pardonne, que vous avez quelque escapade en tête !

— Je tourne et je marque, interrompit Otto.

— À la bonne heure !… Mais il y a ces jolies petites lettres… et puis je vous ai trop bien jugés, vos deux frères et vous, pour concevoir la moindre inquiétude… Goëtz, le bon vivant, aime trop ses aises pour risquer le cachot… Albert est trop étourdi pour garder un secret… Vous-même, meinherr Otto, vous êtes un homme trop sage pour exposer votre cou en escaladant les murailles… n’est-ce pas ?