Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/179

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Le troisième compartiment tient dans l’échelle sociale du Temple la place du peuple. Il n’est ni élégant ni riche, et le titre qu’il s’est donné trouve le sans-gêne heureux de ses mœurs. Il s’appelle le Pou Volant, et ce nom n’est point une calomnie. C’est un immense magasin de chiffons et de ferrailles ; c’est le réservoir toujours plein où vont se vider incessamment les paniers des revendeurs et les sacs des marchands ambulants.

Après le peuple, il y a encore quelque chose. Ce quelque chose n’a point de nom pour les faiseurs d’économie politique ; mais Odry l’appelle tout franchement la canaille. Après le Pou Volant, il y a la Forêt-Noire.

Sauf une mince ligne d’échoppes fripières qui borde la rue du Petit-Thouars, la Forêt se compose entièrement de dépôts de savates. Le monde entier pourrait s’y fournir de vieux souliers, et il y faut voir cet inconcevable amas pour se faire une idée du nombre de semelles qui s’usent sur le pavé de Paris.

Les savetiers de la Forêt-Noire s’intitulent Fafioteurs, ceci entre amis. Leur titre officiel est marchand de bottins. Leur industrie ne consiste nullement à réparer les vieilles chaussures, mais bien à en dissimuler les trous avec du carton et de la graisse noire : cela s’appelle mastiquer le bottin.

Au delà de la Forêt Noire et du Pou Volant se trouve le carreau du Temple, qui sert de bourse aux marchands d’habits errants, désignés sous les noms techniques de roulants ou chineurs.

Au delà du carreau s’élève une grande maison ovale, entourée d’un vilain péristyle. C’est la Rotonde du Temple, qui fut construite autrefois, dit-on, pour servir de maison de détention des débiteurs insolvables. Maintenant elle est habitée par toutes les variétés de fripiers, principalement par les refaçonneurs et marchands d’uniformes, et les niolleurs, qui rendent aux chapeaux défoncés le même service que les fafioteurs aux savates hors d’usage. Elle est desservie par douze escaliers, et contient près de mille habitants.

Le Temple proprement dit, s’arrête là. Mais il est à peine besoin d’ajouter que tout le quartier voisin participe de ses mœurs et de son industrie. Les maisons qui bordent la place de la Rotonde surtout, et la rue du Petit-Thouars sont regardées comme faisant partie intégrante du marché.