Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/182

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tournait à la mélancolie, et la tristesse accrue de ses pensées mettait comme un voile sur la vivacité gaie de ses traits.

— Je crois bien que ce sera ma dernière nuit, reprit-il. Je veux au moins la faire brillante et bien remplie !… Si Denise m’aime, il faut qu’elle me le dise ce soir ; et cette autre femme qui me rend fou, il faut que je la voie encore… encore une fois !

Le flot des acheteurs passait à côté de lui et le poussait tantôt à droite, tantôt à gauche ; il ne s’en apercevait point. En ce moment il avait presque oublié l’objet de sa venue. Ses grands yeux bleus rêvaient et son visage mobile reflétait maintenant une sensibilité profonde.

Le nom de Denise revint encore une fois à sa lèvre, et sa paupière baissée devint humide.

Parmi toute cette foule rassemblée en ce moment au Temple, il n’y avait point d’habit masculin qui pût le disputer en élégance et en finesse à celui de notre jeune homme.

Mais il n’y avait pas peut-être, en revanche, une bourse plus complètement dégarnie que la sienne.

Il se nommait Frantz ; il n’avait point de parents ; il allait avoir dix-neuf ans.

C’était à peu près tout ce qu’il connaissait lui-même de son histoire.

La distinction de sa personne et de sa toilette n’était point un titre à la bienveillance des gens qui l’entouraient. En passant auprès de lui, chacun lui décochait un trait plus ou moins hostile, et il n’y avait que les femmes qui eussent pour sa beauté des regards amis.

— Allons, Moderne, un peu de place ! disait en le poussant de côté sans façon le Savoyard, en quête d’une paire de vieux souliers.

Quelque gaillard en blouse, connaissant à fond la noble langue du temple, marmottait avec un sourire très-fin :

Nib de braise ! Le petit vient biblotter les vieilles frusques.

Un gamin de Paris, dans le plein exercice de sa charge, c’est-à-dire, gênant le passage et vaguant comme un chien perdu, ajoutait de sa voix criarde :

Nisco braisicoto ![1] Pas moyen de vendre aujourd’hui le fin

  1. Nib de braise ou nisco braisicoto, pas d’argent.