Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/21

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Son regard perçant s’élança sur le nouvel arrivant avec une vivacité inquiète.

— Que voulez-vous ? demanda-t-il.

— Je viens du château de Bluthaupt, répondit le paysan.

Le voyageur eut un tressaillement et ne se retourna point.

La face immobile de Mosès Geld exprima une agitation subite.

— Allez-vous-en ! dit-il à l’homme qui tenait toujours sa bague.

— Vingt écus ! murmura celui-ci ; — mais ne vous pressez pas ; je puis attendre.

Il mit son chapeau sur sa tête et s’éloigna, passant à travers le poudreux pêle-mêle qui encombrait le magasin.

Fritz essayait de voir sa figure et ne pouvait point y réussir.

L’usurier le suivait d’un regard inquiet.

Puis il ajouta tout bas :

— Vous êtes chargé d’un message ?

— D’un message de Zachœus Nesmer, intendant de Bluthaupt, répliqua Fritz.

Les yeux gris du juif se fixèrent sur lui avidement.

— Maître Zachœus m’a envoyé vers vous, reprit le courrier, afin que je vous répète ces trois mots : — L’heure est venue.

Le juif fut loin d’accueillir ces paroles avec le même stoïcisme que M. de Regnault ou le madgyar Yanos. Sa main trembla, tandis qu’il essayait d’assurer ses lunettes de fer.

— L’heure est venue, répéta-t-il ; — l’heure est venue !…

Puis il ajouta mentalement en baissant les yeux :

— Je suis un pauvre homme, et j’ai des enfants !… Seigneur, toi qui me les as donnés, tu ne me puniras point pour avoir voulu les faire puissants sur la terre !

Fritz demeurait planté devant le bureau.

— C’est bien, lui dit Mosès, — va-t-en.

— J’ai soif, répliqua le courrier, qui attendait une troisième cruche de vin du Rhin.

— Rebecca, cria Mosès en appelant la vieille femme, — donnez de l’eau à cet homme.