Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/24

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et à gauche des regards inquiets. Mais, à mesure, qu’il marchait, son front se rassérénait, et son sourire aimable reparaissait. Le juif gardait son air contrit, et pensait aux paroles de l’homme à la bague.

Ils traversèrent au trot le quartier israélite, et entrèrent dans la ville chrétienne. M. de Regnault devenait d’une humeur charmante, et sa conversation enjouée faisait le plus grand honneur à la gaieté française.

Mais tout à coup il devint plus pâle qu’un mort, et une plaisanterie commencée se glaça sur sa lèvre.

C’était au détour d’une rue voisine des anciens remparts.

Un cavalier, vêtu à la française, et couvert d’un manteau de voyage, venait de croiser de si près nos trois compagnons, que sa monture et celle du madgyar avaient failli se heurter.

Le cavalier poursuivit sa route sans se retourner.

Regnault s’était arrêté brusquement, ses traits se décomposèrent et son front se mouilla de sueur.

— M’a-t-il vu ? balbutia-t-il sans oser lever ses paupières baissées.

Le madgyar l’interrogea d’un regard étonné. — Le juif resta bouche béante et se mit à trembler.

— Il ne vous a pas vu, répliqua enfin Yanos.

M. de Regnault respira longuement et releva les yeux.

Son regard suivit un instant le cavalier, qui continuait paisiblement sa route.

C’était l’étranger que nous avons vu à l’hôtel des postes de Francfort, et que le courrier Fritz avait nommé M. le vicomte d’Audemer. — Mosès Geld l’avait reconnu pour l’homme qui lui avait vendu la bague armoriée.

La physionomie de M. de Regnault s’était transformée totalement. Sa bouche naguère souriante, avait maintenant une expression cauteleuse et cruelle ; sa joue restait livide ; ses sourcils étaient convulsivement froncés.

Il déplia son manteau de voyage, et s’en couvrit jusqu’aux yeux.

— Cela fait deux fois ! murmura-t-il ; si nous nous rencontrons une troisième fois, je ne veux plus jouer si gros jeu que tout à l’heure.

— Vous connaissez cet homme ? demanda le madgyar.

— Marchons, messieurs ! s’écria Regnault, au lieu de répondre ; — s’il prend la route de poste, la traverse nous restera…