Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/339

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son séant. Victoire piquait des bretelles auprès de la croisée. Elle activait de son mieux son travail ingrat, et l’œil avait peine à suivre les mouvements rapides de sa main exercée.

Mais bien souvent elle s’arrêtait, à bout de courage. Sa main tombait ; sa paupière se rabattait sur son œil morne et sans rayons.

L’idiot, à cheval sur le banc de bois, la contemplait alors avec moquerie, et ajoutait un nouveau couplet à sa bizarre chanson, pour l’accuser de paresse.

L’idiot était de mauvaise humeur. — Il revenait de son expédition sur le carreau du Temple, et regrettait amèrement de n’avoir point pu voler le déjeuner de la petite Galifarde.

Il y avait bien un pain de quatre livres sur la planchette de la cheminée ; mais, en fait de pain sec, Geignolet aimait seulement celui qu’il arrachait à la pauvre servante du bonhomme Araby.

— Où est notre fils Jean ? dit la vieille femme, qui, depuis le matin, n’avait pas encore prononcé une parole.

— Je crois qu’il est parti pour sa tournée, répondit Victoire.

— Oh hé ! Fifi !… cria l’idiot en imitant l’intonation grotesque des masques du ruisseau.

Puis ses yeux hébétés prirent une expression de malice, et il ajouta en chantant :

Oui, oui, oui, oui.
Mon grand frère Jean fait sa tournée,
Il tourne autour de la petite voisine,
Et ils rient tous deux,
Pendant que la mère Regnault pleure
Sur son vieux lit…
Oh hé ! Fifi !

Victoire jeta sur le pauvre insensé un regard où se peignait tout son désespoir de mère.

L’aïeule remit sa tête grise sur l’oreiller.

— Je suis bien malade aujourd’hui ! murmura-t-elle. — Ma pauvre fille, il me semble que je ne serai pas longtemps à souffrir avec toi…

Victoire se leva et porta le fauteuil de paille au chevet du grabat.

— Bonne mère, dit-elle, ne parlez pas ainsi… nous sommes bien mal-