Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/357

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— Les enfants ne voient rien ! murmura le marchand d’habits avec humeur ; — moi, quand il me regarde, je sens qu’il est maître de ma conscience et de ma volonté… Je sens que je ne m’appartiens plus… Sur un mot de lui, je jetterais au vent tout ce que je possède… Sur un signe, je briserais ce qui m’entoure et moi-même !

Les joues de Hans étaient pourpres ; les veines de son front se gonflaient ; il parlait avec feu et s’exaltait davantage, à chaque mot qui sortait de sa bouche. On eût dit une soudaine ivresse.

Au plus fort de son enthousiasme, la petite pendule de la chambre voisine se prit à sonner.

Hans s’arrêta pour écouter. Il compta les coups frappés sur le timbre aigu, et, pendant que l’heure sonnait, Gertraud le vit changer deux ou trois fois de couleur.

— Dix heures ! murmura-t-il d’une voix grave et profondément émue ; — qui sait si l’homme et l’enfant sont encore de ce monde !…

Il prit Gertraud par la main et la conduisit jusqu’auprès de son lit, devant un petit crucifix d’ébène.

— Mettez-vous à genoux, ma fille, dit-il, et priez du fond de votre cœur pour ceux qui sont en danger de mourir…

Depuis le matin, les paroles de Hans étaient pour sa fille autant d’énigmes inexplicables ; à ces derniers mots seulement, elle put attacher une signification, et leur sens, deviné, la rendit plus triste.

— Est-ce donc le jeune homme d’hier, murmura-t-elle, qui est en danger de mort ?…

— Lui-même ! répondit Hans, — et un autre…

— Oh ! mon Dieu ! dit Gertraud, lui qui était si joyeux et si gai ! lui, qui parlait de bal et qui semblait ne songer qu’à la fête…

— Priez, ma fille, priez, interrompit Hans.

Gertraud joignit les mains avec ferveur et obéit.

— L’un des deux aimait bien votre mère, reprit Hans, dont le front était humide de sueur ; — et, si votre mère vivait encore, elle donnerait tout son sang pour l’autre…

Gertraud poursuivait pieusement l’oraison commencée. Hans Dorn n’avait pas la force de prier.