Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/36

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cune des deux voies nouvelles ne continuait directement le chemin principal. Le lieu d’intersection figurait une sorte d’Y : il n’y avait pas plus de raison pour prendre le sentier de droite que le sentier de gauche.

M. d’Audemer demeurait indécis. Regnanlt s’avançait derrière lui au petit pas.

— La route du château de Bluthaupt, Monsieur, s’il vous plaît ? cria le vicomte.

— J’y vais de ce pas, meinherr, répliqua Regnault, en exagérant l’accent des frontières du Palatinat ; — prenez à droite et allez devant vous.

Regnault était à l’occasion un passable comédien. Il avait réussi à rendre sa voix méconnaissable.

Le vicomte remercia et s’engagea sans défiance dans le sentier qui conduisait à la Hœlle.

La route se montra d’abord assez unie, mais elle devint bientôt raboteuse et difficile, au point que le vicomte fut obligé de donner toute son attention à son cheval.

Regnault, qui le suivait pas à pas, crut apercevoir une fois, sur la gauche du rideau de mélèzes, cet objet mouvant que le juif avait signalé naguère. — Les environs du vieux schloss passaient pour être féconds en apparitions surnaturelles, et bien des ombres, disait-on, erraient le soir autour de la bouche de la Hœlle. — Mais Regnault n’avait peur que des vivants.

La Hœlle (l’enfer) de Bluthaupt, dont nous avons prononcé plusieurs fois déjà le nom de triste augure, est un énorme trou de forme oblongue, qui s’ouvre au milieu d’un plateau, dont la rampe occidentale, coupée à pic, domine la traverse d’Esselbach à Heidelberg. L’excavation perce de biais cette rampe et rejoint la traverse, qui passe sous la montagne.

L’éboulement d’où provient ce trou a laissé intacte l’arête du plateau, où croissent des mélèzes séculaires ; cela forme comme un pont suspendu au-dessus de l’abîme, dont le fond est la route de Heidelberg.

À partir de l’orifice du trou jusqu’à la traverse, ce ne sont que broussailles cachant mal les dents aiguës du roc, mises à nu par l’éboulement. Au ras du plateau, les longues racines des mélèzes s’enchevêtrent avec les pousses d’une quantité d’arbustes et de ronces qui croisent leurs bran-