Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/470

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il mangeait notre pain à notre barbe ; il dansait à nos bals, et nous ne nous doutions de rien !… de rien, absolument !… Mais, c’est toute une histoire, et, ma foi, au risque de faire attendre mes hommes dix minutes de plus, je vais vous la dire en quelques mots :

» Vous n’êtes pas sans savoir que le premier novembre 1824, au moment où nous avions lieu d’espérer que tout était fini, les bâtards d’Ulrich nous jouèrent un tour pendable, là bas, au château de Bluthaupt… »

— Ils enlevèrent l’enfant, dit Rodach.

— Ils sortirent de sous terre, s’écria le chevalier, comme des demi-démons qu’ils sont !… Nous avions veillé toute la nuit et fait une besogne qui ne laisse point l’esprit tranquille… quand nous les vîmes là, rangés entre deux cadavres et le berceau, avec leurs grands manteaux rouges, ma foi, nous eûmes peur… le brave Yanos, lui-même, laissa échapper son sabre et s’enfuit en hurlant comme un fou… nous suivîmes son exemple, et les bâtards eurent beau jeu… Il est bien certain que, s’ils n’avaient pas été proscrits déjà dès ce temps-là, nous aurions eu un mauvais compte à débrouiller avec la justice allemande…

» Mais, heureusement, la police avait pour eux autant de haine que d’amitié pour nous. — Ils n’osèrent pas.

» Ils se bornèrent à emporter l’enfant dans ses langes.

» C’était beaucoup. Ils avaient avec eux une servante et un page qui pouvaient, le cas échéant, témoigner contre nous et causer à notre association de rudes embarras… »

— Excusez-moi, si je vous interromps, monsieur le chevalier, dit Rodach ; — Zachœus Nesmer m’a conté bien souvent toute cette partie de l’histoire… Le page et la servante se retirèrent de l’autre côté de Heidelberg avec l’enfant… Les bâtards leur donnaient de l’argent qu’ils prenaient on ne sait où…

— Sur les grands chemins peut-être, grommela le docteur.

— Peut-être sur les grands chemins… Vous cherchâtes, vous trouvâtes, et vous parvîntes à enlever le fils du diable à votre tour…

— Ce fut le Madgyar, dit Rcinhold.

— Ce que j’ignore, reprit Rodach, — c’est le sort de l’enfant après cet enlèvement.