Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/55

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avait servi de tour du guet autrefois, et sa plate-forme crénelée gardait encore trois ou quatre couleuvrines cerclées de fer. Gunther n’avait confié son secret à personne ; le temps qu’il donnait à son bizarre labeur achevait de rendre absolu son isolement.

Il ne parvenait point, bien entendu, à faire de l’or ; mais le propre de chaque manie est de s’acharner contre l’impossible. Le comte travaillait, travaillait ; il allait incessamment de son alambic à ses livres, et de ses livres à son alambic. — Plus de repos ! La nuit continuait les efforts de sa journée ; sa tâche durait toujours, toujours !…

À défaut de l’or, qui ne voulait point venir, le travail de Gunther eut un autre résultat : les vieux murs de Bluthaupt avaient eu, en divers temps, la réputation de cacher des sorcelleries dans leur enceinte. Or, les traditions, en Allemagne, ont bien de la peine à mourir. On se souvint des histoires, souvent racontées, où Satan jouait son rôle nécessaire ; on ne passa plus qu’avec terreur le long des remparts sombres ; et cette lueur rougeâtre, qui brillait tant que durait la nuit, au sommet de l’un des donjons, sembla l’œil sanglant du démon ouvert sur la contrée.

Les montagnards et les gens de la plaine s’accoutumèrent à regarder le schloss avec défiance, — L’herbe s’épaissit entre les grands arbres de l’avenue.

Quand Margarethe, brillante de jeunesse et de fraîcheur, franchit pour la première fois la grille du château en qualité d’épousée, chacun plaignit la douce enfant qui allait dormir côte à côte avec un serviteur de Satan. — Gunther avait bien demandé des dispenses à Rome ; mais ceci était pour le monde ; et certes, il n’avait nul besoin des licences accordées par le Ciel…

Zachœus Nesmer était déjà en ce temps intendant de Bluthaupt. Il volait très-passablement son maître ; mais il avait la bonne volonté de le voler encore davantage. — Zachœus ne croyait guère au diable. Il s’était aperçu, comme tout le monde, des longues et fréquentes visites que Gunther faisait à son laboratoire. Il ne savait point s’en expliquer le motif ; seulement, il repoussait la pensée d’un sortilège, en esprit fort qu’il était.

Et il se disait que, si une fois il pouvait surprendre le secret de son maître, il y avait dix à parier contre un que sa fortune serait faite ; car