jusqu’alors aux obsessions de toute sa famille, céda tout à coup et se retira des affaires.
Il demeura d’abord durant quelques mois morose, taciturne et comme affaissé sous le poids de son oisiveté.
Puis, un beau jour, après être resté dehors depuis le matin, il revint la gaieté au front et le sourire à la lèvre.
Le vieillard qu’on avait vu la veille, courbé, morne, immobile, reprenait vie tout à coup et se redressait au contact d’un aiguillon inconnu.
C’était comme une résurrection.
Le lendemain on ne le vit point paraître au déjeuner de famille. Sa vie de mystérieuse solitude avait commencé.
Depuis ce jour, la porte de son appartement se ferma régulièrement chaque matin à huit heures et demie, pour ne se rouvrir qu’à cinq heures du soir.
Et, malgré la bonne envie de chacun, nul ne put savoir jamais à quoi s’occupait son loisir de tous les jours, pendant ce long espace de temps.
Il voulait être seul, on le laissait seul…
Lia, cependant, grandissait loin de Paris, et devenait bien belle ; elle avait pris la croyance de sa tante Rachel, qu’elle aimait comme une mère.
Rache, veuve d’un chrétien, nommé Muller, et possédant une médiocre aisance, habitait une petite maison de campagne de l’autre côté d’Esselbach. Elle était simple et bonne comme Ruth ; elle avait pour Lia une affection toute maternelle.
Mais son esprit borné n’avait point ce qu’il fallait pour guider une jeune fille au delà des années de l’enfance. Lia fut de bonne heure abandonnée à elle-même. Sa nature droite, intelligente et forte, n’eut pas besoin d’aide pour se développer dans le sens du bien.
Rachel Muller menait une vie fort retirée. Elle voyait seulement quelques amis de son mari, le curé catholique du village et les pauvres dont elle était l’appui. Lia était bien loin de se plaindre de cette solitude, et quand la bonne dame Muller lui demandait si elle ne voudrait point aller à Esselbach pour partager les plaisirs des jeunes gens de son âge, elle demeurait sincèrement étonnée qu’on put lui supposer un regret ou un désir.