Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/684

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Cette nuit profonde se fait jusque dans le cœur des mères !

De tous les quartiers de Paris, celui du Temple, qui s’adonne presque exclusivement aux petits commerces usuraires et à tous les genres de gain peu licites, est assurément le moins gardé contre la honte ; il est pauvre ; il a le voisinage dissolvant des bals et des théâtres ; sa voie est l’usure séculaire ; la récompense de ses labeurs est l’orgie de la Courtille.

Il y a certainement dans le Temple un très-grand nombre d’honnêtes gens, mais leur honnêteté ne peut avoir ces haines vigoureuses dont parle Molière ; ils s’accoutument, ils tolèrent, ils acceptent. Le vice n’est point à eux, mais ils se frottent au vice sans répugnance et par nécessité de vivre.

Jean Regnault était d’une famille où, de père en fils, l’honnêteté semblait un héritage. Il n’y avait jamais eu qu’une tache dans cette maison de braves gens, et la faute d’un seul avait été cruellement expiée par la famille entière. Mais les Regnault avaient des voisins ; Jean, depuis son enfance, était habitué aux histoires du Temple. Il savait les mœurs des marchandes : Jean ne devait pas plus s’étonner de voir un adolescent aux prises avec l’âge mûr de madame Batailleur, que de voir une jeune fille présentée à un monsieur de cinquante ans et comme il faut. Les deux choses rentrent dans l’acception de ce mot, qui fait la joie des fabricants de vaudevilles et qui est le plus impudent des euphémismes : une connaissance honnête

Tout ce qu’on peut dire, c’est que Jean serait mort avant de tomder lui-même jusque-là…

— Voilà ma place, reprit Polyte en activant le moulinet de sa canne : — bien boire, bien manger, bien dormir… une toilette assez agréable… de temps en temps le spectacle… le bal à discrétion, et rien à faire…

Il regarda Jean pour voir s’il l’avait fasciné.

Jean, distrait un moment par la rencontre de son ancien camarade, retombait dans sa tristesse morne.

— Que dis-tu de ça, toi, demanda brusquement Polyte, ça te chausserait, n’est-ce pas, mon petit ?

Jean ne répondait point.

Polyte lui secoua le bras et l’attira jusque sous un réverbère.