Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/783

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Il sortit de nouveau. Sa voiture le conduisit dans la rue Pierre-Lescot, une de ces voies étroites et lépreuses qui ont ouvert toutes grandes les portes de leurs masures pour recevoir les hontes exilées du Palais-Royal.

Rodach s’engagea dans cette boue qui sépare deux longues lignes de guinguettes empoisonnées et de garnis obscènes. Il se rendait chez Verdier, le champion vaillant de la maison de Geldberg.

Verdier était seul dans son taudis, au cinquième étage. S’il attendait une visite, ce n’était certes point celle de M. le baron de Rodach.

Verdier vivait au jour le jour, comme tous ses pareils ; il était joueur, il était buveur ; son état normal était de n’avoir ni sou ni maille. La blessure qui le clouait sur son grabat le surprenait à l’une de ces heures de dénûment absolu, bien communes dans sa vie.

La veille, il avait dépensé joyeusement son dernier écu, comptant sur le prix du sang pour dîner le lendemain.

Sa blessure n’avait point de gravité, mais, faute d’être soignée convenablement, elle lui causait d’atroces souffrances. Sur une chaise de paille, à côté de son lit, il y avait une tasse fêlée, qui avait contenu quelque breuvage dont la dernière goutte se séchait maintenant.

Il avait la fièvre ; la nuit qui régnait dans sa demeure nue se peuplait pour lui de fantômes. Il appelait d’une voix étouffée ses amis par leurs noms. Personne ne répondait.

Il tremblait ; il pensait être à l’agonie.

Quand le baron poussa la porte, que rien ne retenait, il ne sut d’abord de quel côté se diriger dans cette obscurité profonde.

L’accablement du malade étouffait en ce moment ses plaintes ; on n’entendait rien dans la mansarde, sinon un souffle haletant et oppressé.

— Verdier ! murmura le baron.

— Qui est là ? répliqua une voix rauque, est-ce vous, enfin, monsieur le chevalier de Reinhold ?

Rodach se dirigea en tâtonnant vers le lit.

— Oh ! que je souffre et que je suis faible ! reprit Verdier ; du diable si c’était prudent à vous, monsieur, de me laisser mourir comme un chien ! Avant de m’en aller, voyez-vous, je vous aurais laissé un petit souvenir. À boire, s’il vous plaît ; j’étouffe !