Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/792

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Franz s’appuya au bras du vicomte d’Audemer, et gagna la salle voisine, en se dandinant comme un petit étudiant qui fait le mauvais.

Il y avait en lui du débraillé, du casseur d’assiettes ; Fronsac devait être ainsi vers le milieu de son premier souper. On ne pouvait s’empêcher de sourire en le regardant ; mais dans ce sourire il n’y avait ni pitié ni raillerie.

C’était un si charmant enfant ! Ses grands yeux bleus, espiègles et doux à la fois, avaient des regards si francs et si bons ! toute sa personne respirait tant de jeunesse et tant de grâce !

Son aspect plaisait et attirait ; sa bonne humeur était contagieuse. Les femmes le caressaient de l’œil, rêvant une éducation délicieuse ; les hommes n’étaient point jaloux de lui, parce qu’ils le trouvaient trop jeune ; les vieillards se regaillardissaient à le voir, et se figuraient dans leur fatuité revenue, qu’ils avaient été ainsi à l’âge de dix-huit ans…

— Messieurs, dit-il en entrant dans la salle de lansquenet, je vous préviens loyalement que je suis en veine… j’ai déjà gagné ce soir de quoi me faire heureux toute ma vie !

— Eh bien ! Monsieur Franz, dit l’employé qui représentait officiellement madame la baronne de Saint-Roch, asseyez-vous là… vous allez le reperdre.

Franz s’assit et ménagea une place auprès de lui à Julien d’Audemer.

Autour de la table, tous les joueurs le connaissaient. Chacun lui envoya un bonsoir amical, à l’exception cependant d’un jeune homme, habillé de noir, qui s’asseyait à table, juste en face de lui.

Ce jeune homme faisait une mine fort étrange, et qui prouvait surabondamment son peu d’habitude du monde.

Il était gêné dans ses habits qui ne semblaient point faits exactement à sa taille ; il se tenait sur l’extrême pointe de sa chaise, immobile et roide comme un saint de bois ; des gouttes de sueur perlaient à ses tempes ; son visage était pâle et comme décomposé.

On voyait devant lui, sur le tapis, un petit monceau d’or assez respectable, une couple de mille francs peut-être. Il gagnait avec un bonheur constant et qui ne s’était pas démenti une seule minute.

Il y avait une demi-heure environ qu’il était là. Personne ne le con-