Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/794

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Polyte se posait, se drapait, passait ses doigts rougeauds dans ses cheveux crêpés et regrettait l’absence de sa canne à pomme dorée par le procédé Ruolz, que les règlements du lieu l’avaient contraint à déposer au vestiaire. Il lorgnait les dames de vertu médiocre qui s’asseyaient çà et là autour de la table. Il faisait la roue. Il était détestable.

De temps en temps, il traversait la chambre sur la pointe du pied et allait entr’ouvrir la porte de la salle du trente et quarante, pour y glisser une œillade craintive.

Batailleur était là, sa suzeraine ! et Batailleur lui avait défendu péremptoirement de mettre le pied dans la maison de jeu.

Or, Polyte, vu son sexe faible et sa position politique, ne pouvait pas enfreindre les ordres sacrés de sa reine.

Il était là en contrebande. Un soir d’amour, Batailleur, à l’exemple de Jupiter qui séduisait les filles des mortels en leur montrant sa gloire, avait voulu éblouir son Polyte, le fasciner, l’anéantir. Elle l’avait fait monter dans sa voiture et l’avait conduit rue des Prouvaires, où elle trônait sous le noble nom de Saint-Roch.

L’effet une fois produit, elle avait manifesté sa volonté royale et ordonné à son favori de ne plus sortir des limites du Temple. Mais l’aventureux Polyte savait désormais le chemin et tout ce qu’il fallait pour franchir les portes du sanctuaire.

L’arrivée de Franz ne changea rien à la veine prolongée de Jean Regnault. Franz ne s’était pas trompé, pourtant ; il avait du bonheur ce soir, et bientôt son tas de pièces d’or fut égal à celui de Jean.

Autour de la table, presque tout le monde perdait ; eux seuls faisaient de bonnes affaires.

Mais si leur fortune était pareille, leurs personnes contrastaient étrangement.

Franz était d’une gaieté folle : il caquetait, il riait, il plaisantait, les perdants eux-mêmes se déridaient à l’entendre. Jean Regnault, au contraire, ne desserrait pas les dents. Depuis son entrée, il ne s’était dérangé qu’une seule fois pour ramasser un louis d’or qui avait roulé jusqu’à terre ; encore Polyte l’avait-il prévenu en mettant le louis dans sa poche.

Jean respirait avec peine ; il avait les sourcils froncés : ses cheveux tour-