Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/80

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un cercle mystérieux… Ses bienfaits même portent l’épouvante dans les pauvres cabanes… On n’ose plus toucher à ses dons, et l’or de ses charités n’empêche plus les malheureux d’avoir faim…

» On la sait innocente, on la sait pieuse et pure, — mais il y a un lien fatal entre elle et l’enfer.

» Vous parliez tout à l’heure des vieilles légendes et des innombrables prédictions qui courent sur la maison dû nos maîtres. Il y en a une, dit-on, qui annonce en propres termes la venue du fils du diable, — et qui fixe au jour de sa naissance la ruine de la race de Bluthsupt.

» Que de paroles effrayantes les vieillards de la montagne ont prononcées à ce sujet devant moi !… Ils disent que tout sera fini au premier cri de cet enfant du démon.

» La lumière de la tour du guet doit s’éteindre au moment où la comtesse Margarethe deviendra mère ; — elle doit s’éteindre pour ne se rallumer jamais.

» Et nul n’ignore, depuis le pied des murailles du schloss jusqu’au fond de la vallée, que cette lumière est l’âme du vieux Gunther, vendue il y a bien longtemps au roi du mal… »

Les rideaux du lit s’agitèrent en ce moment aux convulsions de la malade, qui s’éveillait dans d’atroces douleurs.

Sa plainte inarticulée fit place à des cris déchirants.

Gunther releva sa tête abaissée et ouvrit des yeux ébahis.

— Qu’est-ce cela ? murmura-t-il.

— La noble comtesse Margarethe… commença le docteur.

— Elle a crié ! interrompit le vieillard, dont le visage morne s’éclaira tout à coup ; — oh !… oh ! écoutez comme elle crie ! on dit que les enfants mâles font seuls souffrir ainsi !

Le docteur s’inclina en signe d’affirmation.

— Crie, Margarethe, crie, ma douce femme ! reprit le vieillard avec un sourire idiot, — je te donnerai des robes de gaze brodées d’or ; — je veux voir à ton beau front un diadème de perles, et sur ta poitrine une parure de diamants plus riche que la parure des reines… Ne vais-je pas être plus riche qu’un roi !…

Cette fois ce fut Van-Praët qui s’inclina.