Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/808

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m’endormirais bien vite, maître Johann !… mais Satan rit au fond de l’eau verdâtre… l’enfer me guette… je ne veux pas mourir !…

Sa tête s’inclina sur sa poitrine et ses yeux se baissèrent.

— La bonne folie ! s’écria Johann ; tâche donc de réfléchir, mon vieux camarade… ne te souviens-tu pas du trou de Bluthaupt et de ce que tu as vu sur la lande dans la nuit de la Toussaint ?

Le courrier frissonna.

— Eh bien ! reprit Johann, le chevalier en est-il mort ? Voilà vingt ans de cela, et Dieu sait qu’il se porte à merveille !… Il y a des juges en Allemagne comme en France, mais les juges d’Allemagne ne voient pas plus loin que le bout de leur nez… Crois-moi, vieux Fritz, je ne voudrais pas mettre dans la peine un ancien camarade… Il n’y a rien à craindre, et c’est une affaire d’or… Peut-on compter sur toi ?

Fritz secoua lentement sa tête chevelue.

— Non, répondit-il.

Johann frappa du pied avec impatience et but un plein verre d’eau-de-vie sans s’en apercevoir.

Jean et Polyte venaient d’entrer ; ils s’étaient mis à la table la plus voisine du comptoir, et ne pouvaient point distinguer nos deux convives, perdus dans l’ombre éloignée.

Ces derniers, au contraire, n’avaient qu’à tourner les yeux pour voir ; mais Fritz ne faisait jamais attention à ce qui l’entourait, et le marchand de vin était en ce moment trop occupé pour se montrer curieux.

Le bruit que faisait Polyte attira un instant son regard distrait, puis il se remit tout entier à sa besogne.

— Allons ! François, allons ! criait Polyte qui avait recouvré toute sa joyeuse humeur ; du pâté d’Italie, de la galantine, des sardines à l’huile et du vin cacheté !… Le prix ne fait rien… nous avons de quoi !

François, qui dormait debout, alla chercher tout ce que l’établissement de madame veuve Taburot contenait de vivres, et les plaça sur la table ; en même temps il déboucha deux bouteilles de vin, dit de Bordeaux, et le festin commença.

Polyte mangeait tout seul, mais il mangeait pour deux ; Jean, lui, se forçait à boire.