Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/811

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Puis il ajouta, tout en dissimulant autant que son ivresse croissante pouvait le permettre.

— C’est juste, mon camarade, voilà une idée qui ne m’était pas venue… Il te faut une femme, et, pour avoir une femme, il te faut de l’argent.

Comme il allait poursuivre, la voix de Polyte s’éleva auprès du comptoir. Le magnifique lion en était à sa troisième bouteille. La joie le débordait ; il commençait à chanter les gaudrioles à l’aide desquelles il embellissait d’ordinaire le dessert de sa souveraine.

Car, pour être le favori d’une femme importante, il ne suffit pas d’être beau garçon, il faut encore avoir des talents agréables.

Le bruit attira de nouveau les regards de Johann, qui, cette fois, reconnut Jean Regnault.

— Tiens, tiens, tiens ! grommela-t-il en plaçant son verre vide sur la table ; que fait-il ici, celui-là ?

Il détestait le pauvre Jean, qui était le rival du neveu Nicolas auprès de la jolie Gertraud.

Et tandis qu’il le regardait en cherchant un moyen de tourner contre lui le hasard de cette rencontre, une pensée subite éclaira son ivresse.

— Tiens, tiens, tiens ! répéta-t-il ; ça doit savoir l’allemand… la petite Gertraud lui aura servi de maître… Il doit avoir grand besoin d’argent… j’ai envie d’essayer !

Sa longue et triste figure se dérida une seconde fois jusqu’à s’épanouir tout à fait.

Depuis cet instant, tout en continuant à endoctriner le pauvre Fritz, il ne perdit plus de vue Polyte et son compagnon.

— Buvez, mes petits, pensait-il ; buvez roide et ferme : ça diminuera ma besogne…

Polyte et Jean n’avaient pas besoin d’être excités ; ce dernier surtout vidait son verre avec une sorte d’emportement.

Quand le lion eut fini de chanter, ils trinquèrent.

— Quand je serai riche, dit Polyte, je prendrai Joséphine Batailleur pour cirer mes bottes… ah ! ah ! ah ! elle enragera bien la vieille, et ce sera drôle ! connais-tu madame Huffé, petit Jean ?