Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/827

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Elle travaillait de tout son cœur ; elle ne méprisait aucune aubaine : c’était la marchande modèle, le négoce lait chair, qui, à défaut d’or, caresse et chérit les gros sous.

Fritz montrait au seuil des Deux-Lions sa face blême et stupéfiée ; personne ne lui achetait ; il restait dans son indolence morne. Il avait bu déjà sa pitance matinale, et sa raison engourdie se berçait en une sorte de sommeil.

Un peu plus loin, sous le péristyle, Mâlou, dit Bonnet-Vert, et Pitois, dit Blaireau, vendaient fraternellement les pantalons volés en commun ; il y avait autour d’eux, un cercle de dandys, parce que leurs pantalons étaient beaux et pas chers. Polyte était là, lorgnant le drap fin d’un œil de convoitise et accusant amèrement la parcimonie de sa reine.

Polyte avait essuyé avec trop de confiance, cette nuit, les tables grasses du cabaret des Quatre Fils. Ses coudes portaient de cruels stigmates ; son gilet avait des taches nombreuses, et on l’eût presque pris pour un prince en non activité de service.

Çà et là, dans la cohue, Hermann et les autres Allemands, habitués de la Girafe, faisaient leur métier avec plus ou moins de bonheur.

Johann se promenait sur la lisière du marché, grave et fier, comme il convenait à un homme de son importance. Il saluait ses connaissances, mais sans familiarité : il avait déjà la fierté de ses rentes futures.

De l’autre côté de la Rotonde, Nono, la petite Galifarde, qui venait de recevoir l’aumône quotidienne de Gertraud, attendait son maître en balayant la boutique.

Araby se trouvait notamment en retard, et c’était chose étrange ; car, les jours de grand marché, il venait toujours de meilleure heure.

Quelques emprunteurs nécessiteux s’étaient déjà présentés devant l’échoppe du vieil usurier ; la Galifarde avait été obligée de les renvoyer.

Elle regardait en vain du côté de la rue de la Petite-Corderie ; elle tendait en vain l’oreille pour saisir cette rumeur lointaine, composée de rires enfantins et de cris moqueurs, qui annonçait le plus souvent l’arrivée d’Araby.

Elle crut ouïr enfin ce bruit, précurseur de la venue de son maître ; elle se dressa sur la pointe des pieds et vit en effet, à l’angle de la place,