Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/90

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ritier… Dressez la table, mes fils, et que je voie à côté de chacun de vous une cruche de notre meilleur vin du Rhin !

Le maître d’hôtel fit un signe ; deux ou trois valets s’ébranlèrent pour dresser la table. Le sommelier, suivi de ses aides, descendit à la cave. — Quelques minutes après, les serviteurs de Bluthaupt étaient rangés autour de la vaste table, et avaient chacun devant soi une cruche de grès couronnée d’écume.

Pendant cela, les mitrons, sortant des cuisines souterraines, portaient les plats du souper du vieux comte et de son intendant.

Le souper de Gunther se renfermait dans les limites les plus étroites de la frugalité. On eût dit le souper d’un anachorète. — Le souper de Zachœus était abondant et presque somptueux ; les mets fumants qui traversaient la salle de justice laissaient derrière eux de savoureuses odeurs. Le gros Van-Praët ouvrait ses narines et dévorait par avance.

— À la bonne heure, mes enfants ! s’écria l’intendant ; — maintenant, remplissez vos gobelets, et buvez à la santé de l’enfant qui va venir !

Les gobelets s’emplirent en effet, et chacun fit semblant de boire, mais pas une lèvre ne se trempa dans la généreuse liqueur.

— À la bonne heure, à la bonne heure ! répéta Zachœus.

— Maintenant, dit Van-Praët en tirant l’intendant par le bras, — rien ne nous empêche d’aller souper… venez !

Zachœus le suivit, après avoir adressé aux domestiques un signe de tête tout paternel.

Dès qu’il fut parti, une des fenêtres de la salle s’ouvrit, et le contenu de tous les verres alla tomber dans la cour.

Personne, y compris même le grave maître d’hôtel, ne voulait boire à la santé de l’enfant du diable.

Et quand les officiers ou valets de Bluthaupt, ainsi que les servantes eurent repris leurs places, une immobilité morne et silencieuse régna autour de la grande table, sur laquelle il y avait assez de vins capiteux pour faire chanter et rire tout un bataillon de lourds Germains. Gottlieb, le joyeux fauconnier, Arnold, Léo, et les plus jeunes parmi les serviteurs, avaient chargé leurs assiettes ; mais le silence général pesa bientôt sur eux,