Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/101

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et cet homme, le caissier Moreau, était discret comme un bloc de marbre.

Il n’avait point parlé.

Mais, encore une fois, ces rumeurs arrivent on ne sait comment ; les nouvelles du malheur sortent de terre, et il se glisse dans l’air une voix mystérieuse qui vous les murmure à l’oreille.

Il y avait quelque chose de solennel dans l’aspect des bureaux de Geldberg. Toute agonie a sa grandeur. Les employés se tenaient graves et tristes devant leurs pupitres, dans l’attente d’un événement prévu ; les salles étaient silencieuses ; c’est à peine si quelques paroles brèves et timides étaient échangées, à voix basse, entre voisins.

Chaque fois qu’un nouveau venu se présentait à la caisse, il y avait un moment d’anxiété terrible ; puis, l’espoir revenait, parce que la caisse faisait droit, comme d’ordinaire, à toutes les demandes.

La journée avançait ; aucune catastrophe n’était survenue, et l’inquiétude commune aurait peut-être pris fin, si quelqu’un des chefs de la maison se fût montré dans les bureaux.

Mais ce jour-là, justement, ils étaient tous les trois invisibles.

On commençait à dire bien bas que, peut-être, ils étaient partis d’avance.

Ceci se trouvait être une erreur. Les trois associés étaient réunis, depuis le matin, dans la chambre du conseil.

Ces inquiétudes que leurs employés avaient éprouvées vaguement et sans trop savoir, ils les avaient ressenties eux-mêmes de première main, comme on le peut croire.

Les premières heures de la réunion avaient été tristes et mornes ; le bruit de la porte de la caisse, qui était située au-dessous d’eux, et qu’ils entendaient s’ouvrir et se refermer de minute en minute, retentissait jusqu’au fond de leurs cœurs.

Et à mesure que les heures passaient, ils ne se rassuraient point ; leur fièvre augmentait, loin de diminuer. — Ils regardaient tour à tour le cadran de la riche pendule, puis leurs yeux se baissaient désespérés.

Ils n’échangeaient pas une parole ; un silence profond régnait dans la chambre du conseil.

C’est qu’il leur était bien impossible de se communiquer leurs pensées ;