Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/11

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coins et derrière le poêle, des objets qu’il faudrait un volume pour décrire et nombrer, formaient de véritables monceaux : c’étaient, en général, des débris informes, des haillons sans nulle valeur.

À gauche de la petite porte, un des monceaux s’élevait beaucoup plus haut que les autres ; il tenait l’angle de la pièce et représentait, pour le moins, un plein fourgon de chiffons. Et encore n’était-ce point là le vrai magasin du bonhomme Araby, qui avait un autre trou sur le derrière.

Araby, au lieu de se rasseoir dans son fauteuil, l’offrit au baron d’un air humble, et s’appuya contre le petit poêle de fonte.

— Je suis un pauvre vieillard, dit-il avec hésitation et les yeux cloués à la terre ; Dieu ne m’a point laissé l’intelligence forte de mon âge mûr… Hâtez-vous de me dire qui vous êtes et ce que vous me voulez, car ma tête se perd et j’ai des pensées qui ressemblent au délire…

— Vous croyez revoir, n’est-ce pas, murmura le baron dont le regard tombait sévère et fixe sur le visage décomposé de l’usurier, vous croyez revoir l’homme qui ne devait plus revenir ?…

— C’est vrai, balbutia le vieillard, trop accablé pour dissimuler.

— Ceux qu’on a tués restent dans le cercueil, poursuivit Rodach. Vous avez peur… la tache du sang redevient rouge au fond de votre conscience !

— C’est donc bien vous !… prononça l’usurier, d’une voix qu’on n’entendait presque plus.

Une nuance de pitié méprisante parut dans les yeux de Rodach.

— Je ne suis pas venu ici pour subir vos questions, meinherr Mosès, reprit-il ; mais j’ai besoin de cent trente mille francs.

À ce nom de Mosès, les rides d’Araby s’étaient creusées d’avantage ; mais ces mots : « cent trente mille francs, » parurent lui porter un coup en sens contraire et réveiller brusquement sa raison, plongée en une sorte de sommeil. Il releva ses paupières à demi et glissa vers le baron une œillade cauteleuse.

— Il y a vingt ans de cela ! pensa-t-il ; et cet homme est jeune encore… l’âge me rend fou !… Seigneur ! Seigneur ! comme il lui ressemble pourtant !… mais c’est la nuit toujours que les morts reviennent ; et il fait jour !

— Je suis pressé, dit Rodach.

Araby fit un geste comme pour réclamer patience.