Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/246

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On parlait de ces choses tout bas, le soir, aux veillées. Les amis du vieux temps se comptaient. Il y avait de vagues pressentiments de dangers et de victoires…

Il faisait un temps froid et brumeux ; les hôtes de Geldberg, confinés dans leurs appartements ou réunis au salon, ne songeaient point à braver le brouillard humide de cette sombre matinée d’hiver.

Franz, seul, était descendu au jardin pour rafraîchir son cerveau agité, peut-être aussi dans l’espérance de rencontrer Denise, auprès de qui madame la vicomtesse d’Audemer veillait maintenant comme une sentinelle attentive.

Il était en costume de chasse, et son fusil reposait sur son épaule.

Il traversa les grandes allées du jardin de Geldberg, où ses guêtres enfonçaient jusqu’à la cheville dans l’herbe blanche de givre. Le jardin était complètement désert ; Franz passa la grille chancelante, et se prit à descendre le flanc abrupte de la montagne.

Il allait, la tête inclinée, et les chevreuils des taillis voisins n’avaient pas à redouter beaucoup l’arme qu’il oubliait sur son épaule.

De temps en temps, il se retournait pour jeter un regard distrait vers le vieux manoir, dont les toitures à pic se saupoudraient d’une légère couche de frimas.

Il ne se rendait nul compte des impressions ressenties, mais son cœur battait plus vite et sa rêverie devenait plus profonde, à voir de loin trancher sur le ciel gris l’imposante silhouette du manoir.

Des idées inconnues étaient dans son cerveau. Il se prenait à bâtir, par la pensée, le château de ses pères ; car ses espoirs avaient grandi depuis son départ de Paris, bien que nul fait nouveau ne fût venu les ranimer dès longtemps.

Cet homme, en qui ses rêves voyaient un père, était un Allemand. La patrie de sa famille était peut-être l’Allemagne, et sa pensée, habituée à s’égarer dans les exagérations d’un beau songe, comparait involontairement l’immense manoir qui dressait devant lui ses murailles féodales à la demeure de ses ancêtres.

Comme ils avaient dû être grands, dans le passé, ces comtes de Bluthaupt dont le souvenir remuait encore le pays après tant d’années !