Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/272

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— J’avais marqué cet endroit-là, grommela-t-il en appuyant son épaule contre l’énorme pierre qui se prit à osciller comme elle faisait toujours au moindre effort ; avance ici, Jean, mon fils… tu vas gagner ton argent à bon marché !

Jean Regnault ne se fit pas attendre ; il allait comme un automate sur les traces du marchand de vins.

Il était maigre et défait ; ses traits étaient à peine reconnaissables ; il y avait en lui un aspect de misère qui faisait compassion.

Ses yeux ternes avaient tout à coup des éclairs hagards ; sa physionomie changée peignait le sommeil de l’intelligence.

Rien qu’à le voir, on devinait l’état de son âme. C’était un pauvre être que la souffrance avait anéanti, un enfant trop faible contre le malheur et qui tâchait de s’engourdir pour échapper aux élancements de son agonie.

Ceux qui connaissaient sa famille auraient pu penser que la main de Dieu l’avait frappé comme son jeune frère, et qu’il était devenu idiot.

Il avait sa raison pourtant ; et la preuve, c’est que durant les cinq ou six premiers jours de son arrivée à Geldberg, il avait passé son temps dans les bois, vivant, Dieu sait comme, et fuyant d’instinct l’exécution du sanglant contrat qui le liait au marchand de vins Johann.

En Allemagne, comme à Paris, il se disait : Je mourrai, mais je ne tuerai pas…

Et pourtant, cette pensée de tuer était en lui à toutes les heures du jour et de la nuit.

Il y avait pour lui, en ce monde un être abhorré ; l’idée de cet homme le mettait en fureur et lui arrachait le reste de sa raison.

Cet homme était son mauvais génie, cet homme lui avait enlevé l’amour de Gertraud, son unique espoir de bonheur ; ne l’avait-il pas vu, charmant et joyeux, coller sa bouche entr’ouverte sur la main de la jeune fille !…

Et quelques heures après, dans la maison de jeu, alors que le hasard avait amassé devant lui la somme qui devait sauver son aïeule, il l’avait retrouvé, ce beau jeune homme à la figure de femme !

Et au moment où il reconnaissait ces traits doux et souriants, la chance