Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/346

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— Vois, poursuivit-elle en s’adressant toujours à l’enfant dont le visage n’exprimait qu’innocence et douceur, vois cet homme qui t’a fait tant de mal ! il se débat contre le châtiment qui l’écrase… et toi tu as achevé les jours de peine… tu n’as plus à vivre que de longues années de bonheur… Oh ! que tu es adorée, ma fille ! Et comme on le déteste !…

Le corps de Laurens oscilla, prêt à perdre l’équilibre ; Sara s’élança pour le soutenir. La sinistre comédie était jouée.

— Venez, dit-elle, en changeant de ton subitement, et tâchez de prendre sur vous… je vais vous reconduire à votre chambre.

Il est constaté que, dans les maladies nerveuses, un puissant effort de volonté peut retarder la crise imminente. L’agent de change réussit à marcher lentement vers la porte avec l’aide de sa femme ; ils sortirent. Nono la Galifarde ignorait, la pauvre enfant, ce qui venait de se passer à son chevet ; elle dormait toujours de son paisible sommeil. En traversant les corridors, M. et madame de Laurens rencontrèrent quelques invités, descendant à la salle de bal. Petite mettait à soutenir les pas tremblants de son mari une angélique complaisance ; on était ému d’admiration à la voir si belle, attachée ainsi, par son devoir, à cet homme dont l’agonie se prolongeait depuis des années. Quoi qu’aient dit les poètes sur les vertus de la femme, on ne trouve pas beaucoup de dévouements pareils. La tendresse s’use ; l’abnégation se lasse, et il y avait si longtemps que Sara jouait le rôle d’ange gardien. En entrant dans son appartement, l’agent de change eut encore la force de monter sur son lit ; mais à peine sa tête touchait-elle l’oreiller, que la crise commença, crise affreuse et comme il n’en avait jamais subi.

Germain n’était pas encore revenu ; Sara se trouvait seule dans la chambre du malade. Pendant tout le temps que dura la crise, on n’eût découvert, sur sa pâle figure, ni effroi, ni pitié.

Au bout d’une longue demi-heure, les convulsions cessèrent, et suivant l’habitude, Laurens demeura étendu sur son lit, immobile comme un cadavre. Sara mit la main sur son cœur qui ne battait presque plus ; elle fit glisser les rideaux du lit sur leurs tringles.

On frappait à la porte en ce moment, c’était la comtesse Esther, avec son fiancé Julien, et deux ou trois autres invités, qui venaient chercher