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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/355

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chapelain de Bluthaupt, venu on ne savait d’où pour prononcer le nom de ses maîtres à l’oreille du vieux Moïse de Geldberg. Car tout mystère filtre à la longue, et, malgré le respect emphatique professé par tout le monde à l’endroit du vieux patriarche, personne n’était sans avoir entendu parler vaguement de la fin tragique des derniers Bluthaupt. On n’accusait point ; on donnait à plaisir à tous ces vieux récits d’invraisemblables couleurs ; mais les soupçons restaient. L’attention excitée gênait évidemment les membres de la famille de Geldberg. Petite appela M. le chevalier de Reinhold, et lui dit quelques mots à voix basse. Le chevalier se dressa sur ses pointes et fit de loin un signe aux musiciens de l’orchestre. La salle où, depuis une grande minute, régnaient une sorte de silence, s’emplit de bruits harmonieux ; l’orchestre préludait. Un mouvement eut lieu ; ceux qui étaient trop loin pour avoir observé la scène que nous venons de décrire s’empressèrent vers leurs danseuses, le bal retrouva sa vie bruyante et agitée. Néanmoins, une longue haie de curieux resta sur le passage des associés de Geldberg.

On n’était pas indiscret ; on avait du moins un prétexte ; la famille avait exhibé son chef, afin qu’on lui décernât une manière d’ovation solennelle, on ne pouvait pas laisser sortir ainsi sans honneurs le vieillard vénérable… D’autant mieux que l’ermite, qui était resté un instant en arrière, fendait de nouveau la presse et se rapprochait du groupe évidemment fugitif. Le petit drame allait avoir un second acte. Après les quelques mots glissés à l’oreille de Lia, qui s’appuyait maintenant toute pâle au bras de mademoiselle d’Audemer, on avait vu le fameux ermite demeurer un instant pensif et comme absorbé dans sa rêverie. Au moment où la famille de Geldberg accomplissait le deuxième tiers de son trajet, il parut s’éveiller tout à coup et s’élança pour la rejoindre.

La foule des invités, ouverte pour un instant pour donner passage à la procession domestique, s’était refermée ; l’ermite, qui était un homme robuste, la fendit sans efforts apparents et arriva en quelques secondes auprès de Moïse de Geldberg. Devant le vieillard, se tenaient le docteur José Mira, le chevalier de Reinhold et le Madgyar Yanos. L’ermite passa sans s’arrêter auprès d’Esther, et se trouva derrière le docteur. On vit celui-ci tressaillir, comme tous ceux à qui l’ermite avait jusqu’alors