Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/423

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sonne n’osait ni interroger ni se plaindre. Franz regardait de tous ses yeux, et en était à se demander si ce n’était point là le plus bizarre de tous les songes. Au milieu du silence profond qui régnait dans la chambre, la voix du baron s’éleva, sonore et calme.

— Il y a vingt ans, dit-il, ces hommes qui sont morts maintenant ont assassiné toute une noble famille, Ulrich de Bluthaupt, Gunther de Bluthaupt et sa femme la comtesse Margarethe… Il est ici un cinquième coupable qui m’écoute et qui pourrait dire si mes paroles sont vérité ou mensonge.

Le vieux Moïse joignit les mains comme pour implorer pitié et murmura :

— Seigneur ! Seigneur !… c’était pour mes pauvres enfants !…

— Le poignard des meurtriers, reprit Rodach, s’arrêta devant le berceau où dormait le dernier héritier de Bluthaupt.

» Le fils de Gunther et de Margarethe fut sauvé.

» Comtesse Hélène, vos frères avaient à venger trois meurtres ; mais ils prennent le ciel à témoin que ce n’est point la vengeance qui a guidé leur épée… »

Il montra du doigt les cadavres des quatre associés.

— Tant que ces hommes auraient vécu, poursuivit-il, une menace serait restée suspendue sur la tête du dernier comte, notre seigneur… Les bâtards d’Ulrich se sont mis bien des fois entre le trépas et sa poitrine… Mais qui sait si les bâtards d’Ulrich vivront longtemps encore ?… Il fallait que Gunther de Bluthaupt pût marcher dans la vie, sans trouver un piège ouvert au-devant de chacun de ses pas !

Franz écoutait, dévorant chacune de ces paroles. Les assistants retenaient leur souffle, accablés pour ainsi dire sous la solennité de ce moment. Esther et Abel baissaient la tête ; Sara se forçait à garder une attitude de défi ; Jean Regnault ouvrait de grands yeux ; une lueur se faisait dans l’intelligence émue de Denise. Geignolet, accroupi derrière sa mère, tendait le cou pour avancer sa tête difforme et stupide, afin de regarder plus près les cadavres, et il grommelait :

— Oh !… oh !… quatre d’un coup !… et le monsieur à la perruque y est !